Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/114

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proportion entre son buste et sa tête ! Il paraissait tenir, comme un étique brûlé de soif et de fièvre, sa bouche entr’ouverte et ses lèvres renversées.

— Ô vous, s’écriait-il, qui, par une faveur que je ne puis comprendre, parcourez sans souffrir la région des douleurs, arrêtez et considérez la profonde misère de maître Adam [5] ! Je vivais autrefois dans les douceurs de l’abondance ; et maintenant, hélas ! c’est une goutte d’eau qui ferait mon bonheur. Les clairs ruisseaux qui tombent des collines du Casentin, pour se mêler aux flots de l’Arno ; la molle verdure et la fraîche obscurité de leurs rivages, viennent sans cesse se peindre à mon esprit ; et ce n’est pas en vain ! Ces riantes images sont toujours là, pour attiser le feu qui me consume ; et c’est ainsi que la sévère justice qui me châtie soulève contre moi les souvenirs des lieux où j’ai fait mon malheur. J’y vois cette Romène où je falsifiais les florins, et où mon corps fut réduit en cendres. Ah ! si du moins je voyais ici l’ombre maudite d’Alexandre, de Guide ou de leur frère, je n’en donnerais pas la vue pour toutes les eaux de Branda [6] ! Il est vrai qu’un des trois a déjà pris place avec nous, si ces esprits errants ne m’ont point abusé : mais que m’importe si je suis immobile ! que ne puis-je, me soulevant un peu, avancer d’une ligne en un siècle ! j’irais et je les chercherais parmi la foule, dans