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Au reste, ce poëme ne pouvait paraître dans des circonstances plus malheureuses : nous sommes trop près ou trop loin de son sujet. Dante parlait à des esprits religieux, pour qui ses paroles étaient des paroles de vie, et qui l’entendaient à demi-mot : mais il semble qu’aujourd’hui on ne puisse plus traiter les grands sujets mystiques d’une manière sérieuse. Si jamais, ce qu’il n’est pas permis de croire, notre théologie devenait une langue morte, et s’il arrivait qu’elle obtînt, comme la mythologie, les honneurs de l’antique ; alors Dante inspirerait une autre espèce d’intérêt : son poëme s’élèverait comme un grand monument au milieu des ruines des littératures et des religions : il serait plus facile à cette postérité reculée de s’accommoder des peintures sérieuses du poëte, et de se pénétrer de la véritable terreur de son Enfer ; on se ferait chrétien avec Dante, comme on se fait païen avec Homère[1].

Voilà le précis du poëme ; il est long et ne dit pas tout : mais on trouvera semées dans les notes les idées qui manquent ici ;

  1. Je serais tenté de croire que ce poëme aurait produit de l’effet sous Louis XIV, quand je vois Pascal avouer dans ce siècle, que la sévérité de Dieu envers les damnés le surprend moins que sa miséricorde envers les élus. On verra, par quelques citations de cet éloquent misanthrope, qu’il était bien digne de faire l’Enfer, et que peut-être celui de Dante lui eût semblé trop doux.