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ternel soupir du désespoir ; et quand ils furent devant nous,

je les vis marcher en cercle, et s’entre-suivre ; ainsi qu’un lutteur

agile rôde autour de son ennemi, en épiant le moment de la victoire ; mais chacun d’eux, en tournant ainsi, ramenait sans cesse ses regards vers nous.

Un seul rompit le silence :

— Eh ! si notre condition déplorable, me dit-il, si nos visages sillonnés par les flammes ne te donnent que de l’horreur pour nous et nos prières, ne refuse pas du moins à notre mémoire de nous dire qui tu es, âme vivante, qui peux ainsi fouler le sol brûlant des Enfers ! Cette ombre qui me précède, et que tu vois si misérablement déchirée, fut jadis autre que tu ne penses. C’est Guido Guerra [2], neveu de la généreuse Gualdrade : ses sages conseils et sa vaillance ont rempli le monde. Celui-ci fut Aldobrandini Tegiao [3], dont le nom devrait être si cher à sa patrie ; et moi, je suis Rusticuci [4], qu’une épouse implacable a fait passer des angoisses de l’hymen aux flammes de l’abîme.

Il parlait encore, et, s’il m’eût été donné de franchir ces flammes qui nous séparaient, j’aurais déjà volé dans leurs embrassements.

— Ce n’est point l’horreur, m’écriai-je, ce sont les traits poignants de la compassion qui déchirent mon âme inconsolable depuis que mon guide vous a fait connaître à moi.