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— Depuis que nous avons franchi le seuil toujours ouvert de ces tristes demeures, ton œil n’a point vu de prodige semblable à ce ruisseau qui absorbe sans cesse les flammes qui pleuvent dans son sein.

Je le conjurai alors de satisfaire les désirs que ces paroles réveillaient en moi, et il me parla ainsi :

— Une île, aujourd’hui sans gloire, est assise au milieu des mers : c’est la Crète, dont le premier roi régna sur un siècle innocent. Le mont Ida s’y voit encore. Autrefois, des sources pures et des forêts verdoyantes paraient sa tête ; mais le temps a flétri tous ses honneurs. C’est là que Cybèle cacha le berceau de son fils, et que les Corybantes couvraient de leurs sons bruyants les cris du jeune dieu. Dans les flancs caverneux du mont, un vieux géant est debout : il tourne le dos à Damiette, et ses regards vers Rome, qu’il fixe attentivement. Sa tête est d’or pur ; sa poitrine et ses bras d’argent ; l’airain forme sa taille, et le reste est du fer le plus dur, excepté le pied droit, qui est d’argile ; et c’est sur lui que le colosse entier repose. L’or de sa tête ne s’est point altéré ; mais ses autres membres s’entr’ouvrent de toutes parts : ces fentes nombreuses se remplissent de larmes qui tombent goutte à goutte, et vont se frayer un sentier dans les cavités de la montagne. Filtrées dans des routes secrètes, elles se rassemblent aux