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mon conseil ; mais pardonne-lui cet outrage ; il n’aurait pas porté sur toi sa main cruelle, s’il eût pu croire un tel prodige sans le voir. Daigne à présent, pour qu’il puisse expier son offense, lui révéler ta condition passée ; il honorera ta mémoire dans le monde où son destin le rappelle.

Le tronc nous rendit ainsi sa réponse :

— Ma douleur cède au charme de tes paroles : ce que tu dis m’invite à te faire le récit de tous mes maux. Je vivais auprès de Frédéric, et maître de son cœur, je l’ouvrais et le fermais à mon gré. Mais sa haute faveur et mon incorruptible fidélité me creusaient des abîmes. Cette furie, dont l’œil empoisonné veille sur le palais des Césars, l’Envie, peste des cours, souleva contre moi ses satellites : en vain j’avais su les écarter ; leur foule irritée prévalut sur l’esprit du maître, et je vis rapidement les délices et la gloire céder la place au deuil et à l’ignominie. Rassasié d’amertumes, je crus par la mort mettre un terme à ma misère, et ce crime envers moi fut le premier d’une vie sans reproche. Je vous jure par ces racines, nouveaux soutiens de mon affreuse existence, que mon cœur fut toujours fidèle à son digne maître [3] ; et si l’un de vous doit revoir la terre des vivants, je le conjure de n’y pas oublier un infortuné dont le souffle de l’envie a flétri la mémoire.