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Je m’arrêtai tout éperdu, car une seule âme ne s’était pas encore offerte à ma vue ; et cependant, à travers les cris des harpies, j’entendais des voix plaintives qui se prolongeaient dans cette affreuse solitude. Il semblait que notre présence eût dissipé les âmes criminelles dans l’épaisseur de la forêt, d’où leurs gémissements arrivaient jusqu’à nous.

Mon guide croyant que telle fût ma pensée, me dit :

— Si tu veux savoir la vérité, arrache à cet arbre un de ses rameaux.

Je lève donc ma main sur l’arbre, et j’emporte un de ses rameaux. Le tronc aussitôt frémit et s’écrie :

— Pourquoi me déchires-tu ?

Je vois alors couler un sang noir, et j’entends encore le même cri :

— Pourquoi me déchires-tu ? Mon infortune ne peut donc t’attendrir ? Je fus homme avant d’animer ce tronc ; et ta main cruelle aurait dû m’épargner, quand je n’eusse été qu’un reptile [2].

Ainsi que le bois vert pétille au milieu des flammes, et verse avec effort sa sève qui sort en gémissant, de même le tronc souffrant versait par sa blessure son sang et ses plaintes. Immobile, et saisi d’une froide terreur, je laisse échapper le rameau sanglant.

— Ombre trop malheureuse, dit alors mon guide, celui-ci t’a blessée pour avoir écouté