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Mais déjà mon guide pouvait atteindre à la vaste poitrine où se réunissent les deux natures du monstre [6] ; il prit donc ainsi la parole :

— Celui que je guide dans ces gouffres est encore un mortel ; il suit l’irrésistible destin, et non pas une vaine curiosité. Une âme, descendue des célestes chœurs [7], le confie à mes soins : il n’est pas réprouvé, et je ne suis point une ombre perverse. Je te conjure donc, par celle qui m’envoie dans ces routes inaccessibles, de nous donner un des tiens pour nous conduire au passage du fleuve, et porter celui-ci vers l’autre rive : car il ne peut, sous sa dépouille terrestre, suivre le vol léger des ombres.

Il dit, et Chiron, se tournant vers Nessus, lui ordonne de nous conduire et de nous faire éviter la rencontre des autres Centaures.

Aussitôt le nouveau guide nous transporte sur ces rives baignées d’un sang tiède et toujours retentissantes des sanglots qui se mêlent aux bouillonnements du fleuve. Je voyais sa surface hérissée de têtes qui sortaient à moitié de l’onde fumante. Le Centaure nous dit :

— Voilà les tyrans, ces hommes de sang et de rapine ; leurs larmes coulent à jamais dans ces flots colorés ; c’est là que pleure Alexandre de Phère [8], et Denys dont les cruautés ont si longtemps travaillé la Sicile. Vois les sommets de ces deux têtes ; l’une couverte d’un poil