Page:Dante - L’Enfer, t. 1, trad. Rivarol, 1867.djvu/109

Cette page n’a pas encore été corrigée

soupirs confus tel qu’un homme qui, trompé dans son attente, ouvre une bouche plaintive et s’abandonne aux regrets [2].

Mon guide fut le premier dans la barque ; j’y descendis après lui : elle parut fuir sous nos pieds, et l’antique proue, étonnée de sa nouvelle charge, traçait dans l’onde un sillon plus profond.

Tandis qu’elle glissait sur l’immobile surface, une ombre souleva les flots épais devant nous et me dit :

— Ô toi qui viens avant ton heure, quel es-tu ?

— Je viens, mais je passe outre, répondis-je ; et toi, dis plutôt qui tu es, immonde et laid fantôme ?

— Tu le vois, je pleure avec ceux qui pleurent.

— Pleure à jamais, m’écriai-je, ombre maudite ; je te reconnais sous ton masque hideux.

Aussitôt l’ombre saisit à deux mains les bords de la nacelle ; mais mon guide la repoussant :

— Retire-toi, lui dit-il, et va hurler loin de nous.

Jetant ensuite ses bras autour de moi, il m’embrassait et s’écriait :

— Béni soit le sein qui t’a conçu ! Je loue ton courroux généreux contre cet esprit superbe : on n’a pu recueillir dans sa vie entière le souvenir d’une seule vertu ; mais ses fureurs