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Ici, l’affluence des ombres étonna mes regards. Je les voyais se partager et parcourir dans un pénible jeu les deux croissants du cirque infernal ; et, comme on entend les hurlements de Scylla, quand le flot qui jaillit heurte le flot qui s’engouffre ainsi, les deux partis, chargés de poids énormes, accouraient, se frappaient et s’écriaient ensemble :

— Pourquoi les enfouis-tu, et pourquoi les dissipes-tu ?

Et, regagnant encore leurs hémisphères opposés, ils répétaient leur choc et leur insultante clameur, s’exténuant sans repos dans cette joûte éternelle [2]. Si bien qu’ému de compassion, je dis à mon guide :

— Quelles sont ces âmes ? Sont-ce les ministres des autels que je vois à ma gauche [3] ?

— Tous ces esprits, me répondit-il, se sont également fourvoyés dans leur route pour avoir jugé faussement du prix des richesses. Leur cri te les désigne [4], quand tu les vois s’entre-choquer dans le cercle où leurs vices contraires les repoussent. Ceux dont le front tondu blanchit à ta vue sont les enfants de l’Église, papes et cardinaux, esclaves dont l’avarice compte et marque les têtes [5].

— Maître, dis-je aussitôt, ne pourrais-je reconnaître quelqu’une de ces âmes jadis travaillées de la honteuse soif de l’or ?

— Ne l’espère pas, me dit-il : elles sont toutes défigurées sous le masque du crime obscur