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les Acteurs plutôt que leurs dispoſitions à ſe laiſſer toucher par les beautés d’un Poëme.

M. Le Kain repréſentoit le rôle de Mahomet avec tout le feu, l’énergie & la dignité qui pouvoient paroître miraculeux dans un jeune homme qui n’avoit encore chauſſé le Cothurne que trois ou quatre fois pour s’amuſer. Encouragé par les ſuffrages & les leçons de M. de Voltaire aux répétitions, appuyé de ſes avis lumineux j’étois parvenu à ſeconder paſſablement les talens de mon camarade ; & malgré tout ce qui manquoit à mon extérieur pour me donner l’air d’un Héros, nôtre Auditoire me fit l’honneur de pleurer & de fremir en m’écoutant. Je vis l’horreur & l’indignation ſe peindre ſur tous les viſages & monter au comble à meſure que la piéce approchoit de la cataſtrophe : toute l’aſſemblée nous honnora de complimens ſur l’exécution, & chacun de ces complimens exprimoit l’impreſſion que les aſſiſtans avoient reçuë. Elle étoit telle que la gloire que nous en recevions, étoit encore plus flatteuſe pour l’Auteur que pour nous. Comment de jeunes gens ſans habitude au Théatre & qui ne montroient encore que les dispoſitions néceſſaires pour s’y diſtinguer un jour, auroient ils pu faire cette impreſſion ſur des auditeurs conſommés au Spectacle, & maîtres eux mêmes du Théatre, ſi la piéce n’étoit une de celles qui toucheroient le cœur le moins ſenſible, quand bien même on la débiteroit comme on lit la gazette ? En admirant la piéce perſonne ne s’a-