Page:Dancourt - À Mr. J. J. Rousseau, 1759.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

galant Céſar en a-t-il moins fait la conquête du monde pour avoir été dans ſa jeuneſſe auſſi poli, auſſi galant, auſſi ſpirituel que courageux & magnanime ?

Les chefs-d’œuvres de Corneille & de Moliére tomberoient aujourd’hui & s’ils ſe ſoutiennent ce n’eſt que par la honte qu’on auroit de ſe dédire & non par un vrai ſentiment de leurs beautés, une bonne piéce, ajoutez-vous, ne tombe jamais que par ce qu’elle ne choque pas les mœurs de ſon tems.

Après vous avoir fait diſtinguer ce que Moliére & Racine ont bien fait de ménager dans nos mœurs, il eſt queſtion de vous prouver maintenant que Moliére ſur tout n’a pas à beaucoup prés reſpecté ce qu’il y avoit réellement de vicieux en elles.

Le Miſantrope & le Tartuffe n’auroient pas eſſuyé tant de ſatires & de perſécutions, nous verrions encore ſubſiſter ſous la forme qu’ils avoient alors, les défauts, les vies & les ridicules que Moliére a joués avec tant de naïveté & ſi peu de ménagement. Il ne ſe ſeroit pas fait parmi les dévots, les Médecins, les Auteurs & les gens de Cour des ennemis de la méchanceté deſquels le bon goût & l’eſtime de Louis XIV furent ſeuls capables de le préſerver.

Quant au goût que vous ſuppoſez diminué pour les piéces de Moliére, c’eſt préciſement par la raiſon que vous imaginez plus capable de les rendre meilleures, c’eſt à dire par une critique peu ménagée des mœurs du tems, qu’elle cauſe, s’il eſt vrai, moins de