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fort bien que dans le leur, comme dans tous les autres les honnêtes gens ne ſoient pas le plus grand nombre : c’eſt ce qui ſera cependant ſi tôt qu’on le voudra. Il ſeroit injuſte d’appliquer à leur profeſſion leur déreglement, après ce que j’ai dit des cauſes du déſordre qui regne entre eux, & qui dépendent abſolument du défaut de police. Achevons de disculper leur profeſſion des nouveaux reproches que vous lui faites d’un air ſi triomphant ; vôtre gloire n’eſt qu’un feu de paille, vous allez bientôt voir la fumée.

Qu’eſt ce que le talent du Comédien ? L’art de ſe contrefaire, de revetir un autre caractere que le ſien, de paraître différent de ce qu’on eſt, de ſe paſſionner de ſang froid, de dire autre choſe que ce qu’on penſe auſſi naturellement que ſi on le penſoit réellement, & d’oublier enfin ſa propre place. Qu’eſt ce que le talent d’un Corneille, d’un Moliére, d’un Crebillon, d’un Voltaire ? C’eſt de ſe paſſionner de ſang froid dans leur Cabinet, d’écrire autre choſe que ce qu’ils penſent auſſi naturellement que s’ils le penſoient réellement, & d’oublier enfin leur propre place. C’eſt le talent d’un Prédicateur qui prend la place d’un Apôtre, ſe paſſionne de ſang froid & dit ſouvent autre choſe que ce qu’il penſe auſſi naturellement que s’il le penſoit. Un talent n’exclut pas plus la probité du cœur de celui qui l’exerce s’il eſt honnête homme, qu’il n’y porte la Vertu, s’il eſt un homme corrompu : prétendre qu’il influe en bien ou en mal ſur les mœurs de quelqu’un,