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L. H. DANCOURT

ſa miſere, pour lui faire oublier ſes Chefs, en voyant ſes Baladins, pour maintenir & perfectionner le goût quand l’honnêteté eſt perdue, pour couvrir d’un vernis de procedés la laideur du vice, pour empêcher en un mot que les mauvaiſes mœurs ne dégénèrent en brigandage.

Quoi M. vous avouez que le Théatre peut faire tant de bien contre le mal, & vous pouvez hazarder d’écrire qu’il feroit tant de mal contre le bien ! Attirer les étrangers, c’eſt pour ainſi dire les mettre à contribution en faveur du païs ; augmenter la circulation, c’eſt dispenſer les richeſſes à pluſieurs, c’eſt multiplier aux citoiens les occaſions d’accroitre leur fortune ; varier les modes, c’eſt donner du pain aux ouvriers ; exciter les artiſtes, c’eſt animer & fortifier l’induſtrie ; occuper des gens trop riches ou aſpirant à l’être, c’eſt contenir les factieux dans une Monarchie, & les ambitieux dans une République, c’eſt les rendre moins malfaiſans. Si les Baladins avoient le talent de faire oublier au Peuple ſes miſeres ; ſi une Nation accablée d’un joug trop rigoureux, trouvoit dans le ſpectacle un ſoulagement à ſes maux, ne ſeroit ce pas le plus grand des biens pour cette Nation ? Mais il s’en faut bien que le ſpectacle ait cette faculté, il ne ſert au contraire qu’à indiquer la félicité du Peuple : ce n’eſt que lorsqu’il eſt heureux que les ſalles ſont pleines, ce n’eſt que lorsqu’on eſt en état de le faire, qu’on donne de l’argent à ſes plaiſirs : donc plus le ſpectacle ſera fréquenté plus on en