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M. Calais, qu’ils croyaient mort dans les montagnes, et purent correspondre avec lui. C’est alors que, d’un commun accord, ils décidèrent que l’un d’entre eux devait gagner la Chine, pour faire connaître les désastres que la mission venait de subir, et travailler, si possible, à y porter remède. M. Féron qui était le plus ancien des trois, et à ce titre remplissait les fonctions de supérieur, désigna M. Ridel pour ce voyage. Le missionnaire obéit, et quitta en pleurant sa chère mission de Corée.

« Nous fîmes préparer une barque, écrit-il, ce qui nous coûta des peines extrêmes ; enfin le jour de la Saint-Pierre, je quittai de nouveau M. Féron. Les satellites étaient de tous les côtés, gardaient toutes les routes ; les douanes étaient plus vigilantes que jamais, et les soldats de la capitale mettaient les barques en réquisition pour transporter les matériaux destinés à la construction du nouveau palais ; tout autant de périls qu’il nous fallait éviter. J’étais caché au fond de mon petit navire, monté par onze chrétiens résolus, et nos craintes furent grandes pendant trois jours que nous naviguâmes à travers les îles qui bordent la côte, mais Dieu vint à notre aide, et le sang-froid de mon pilote nous tira d’affaire. Enfin nous gagnâmes le large ; j’avais apporté une petite boussole : je donnai la route pour filer en pleine mer sur les côtes de Chine. Mes pauvres marins n’avaient jamais perdu la terre de vue ; quelle ne fut pas leur frayeur lorsque, le soir, ils ne virent plus autour d’eux que l’immensité des mers ? Un vent furieux se déchaîna ; nous essuyâmes une violente bourrasque et, pendant deux heures, nous eûmes toutes les peines du monde à maintenir notre navire. Figurez-vous une petite barque toute en sapin, les clous en bois ; pas un seul morceau de fer dans sa construction ; des voiles en herbes tressées, des cordes en paille. Mais je l’avais appelée le Saint-Joseph ; j’avais mis la sainte Vierge à la barre et sainte Anne en vigie. Le lendemain, point de terre ; le troisième jour nous rencontrâmes des barques chinoises : le courage revenait au cœur de mon équipage, mais le calme nous surprit. À la nuit, nous eûmes encore un coup de vent qui dut nous pousser fort loin dans la bonne direction ; le vent soufflait par soubresauts de droite à gauche ; la mer se gonflait et frappait les flancs de la barque ; on ne pouvait voir à deux pas dans l’obscurité, et il tombait une pluie torrentielle. J’admirai le courage de mon pilote ; il resta toute la nuit au poste, ne voulant pas céder sa place avant que l’orage ne fût passé, et tenant fidèlement la direction que je lui avais donnée.