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là ou je voulais, et toujours j’ai reconnu que si j’avais fait selon ma volonté, je ne sais pas, ou plutôt je sais très-bien ce qui me serait arrivé. Et puis, dans une cachette obscure et étouffante, on sent le bon Dieu de plus près, et l’on n’échangerait pas volontiers une pareille existence pour une autre plus douce à la nature. »

De son côté, M. Ridel écrivait à sa famille : « En apprenant le martyre de Mgr Berneux, je me mis en route avec quelques chrétiens pour gagner Tsin-pat. Il y avait une rivière à traverser. Un courrier du gouvernement se présente en même temps que nous pour passer. J’entre le dernier dans le bateau, et me tourne à l’avant pour ne pas être reconnu. La conversation s’engage. « Moi, » dit un païen au courrier, « je reviens de Tiei-tchen pour l’affaire de ces coquins d’Européens que l’on a pris à la capitale. Y en a-t-il aussi à Tiei-tchen ? — Oui, » répond le courrier, « il y en avait deux ; j’ai porté l’ordre de les prendre, et ils ont été arrêtés. » Et il se mit à les décrire si bien que je reconnus facilement qu’il s’agissait de MM. Pourthié et Petitnicolas. Mes chrétiens effrayés ne soufflaient mot ; j’essayais de faire bonne contenance. Le premier interlocuteur ajouta : « A-t-on arrêté aussi leurs femmes ? — Ils n’en ont pas. — Et comment font-ils leur ménage ? — Ah ! je n’en sais rien. Allez leur demander. » Cette réflexion fit rire les chrétiens et empêcha de remarquer leur tristesse trop visible. Arrivé à Tsin-pat, je donnai les sacrements à quelques personnes, je fis enterrer tous mes livres et effets, et je partis le 12 mars, pour aller, je ne savais où, chercher un refuge. André, mon maître de maison, m’accompagnait avec sa femme et ses enfants, et un certain nombre de chrétiens. Le soir même, Tsin-pat était envahi par les satellites de la capitale, avec ordre précis d’arrêter l’Européen qui y résidait habituellement, et toutes les personnes à son service.

« Après avoir changé plusieurs fois de retraite, et dépensé tout ce que je possédais à nourrir les chrétiens qui m’avaient accompagné, j’ai été obligé d’en renvoyer le plus grand nombre, et je suis venu me réfugier dans un petit hameau au milieu des montagnes. J’ai couché quinze jours à côté d’un homme qui avait la fièvre typhoïde, et à la moindre alerte, à chaque visite que recevaient mes hôtes, je me cachais sous un tas de bois. C’est là que, le mardi de Pâques, j’ai appris la mort de Mgr Daveluy. Le soir, les enfants d’André causaient entre eux de cette triste nouvelle. J’entendis Anna sa fille aînée, âgée de douze ans, qui disait à ses jeunes frères : « On va bientôt venir prendre le Père,