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tranquilles, on ne mettait que plus d’ardeur à poursuivre les missionnaires européens. D’après les dénonciations du traître Ni Son-i, on était sûr qu’il y en avait au moins neuf en Corée ; on soupçonnait l’existence des autres. Aussi, dès le premier jour de la persécution, les ordres les plus sévères furent-ils expédiés à tous les gouverneurs et magistrats ; et de nouvelles lettres venaient, chaque semaine, stimuler leur activité et leur vigilance. Tout d’abord, le gouvernement ordonna de placer, à chaque rencontre de chemins, des guérites pour des gardiens chargés de ne laisser passer aucun voyageur sans l’avoir rigoureusement examiné ; mais, au bout de quelques jours, les soldats s’ennuyèrent de ce pénible service, et, sauf dans le voisinage immédiat de la capitale, laissèrent partout ailleurs les guérites veiller seules. On envoya également à tous les fonctionnaires et agents de l’autorité les signalements des Européens, fournis par Ni Son-i et d’autres apostats, avec promesse de brillantes récompenses pour ceux qui les feraient prisonniers. Nous avons vu que le résultat de ce plan infernal fut, en moins d’un mois, l’arrestation de neuf missionnaires. Les trois autres échappèrent, mais il est difficile de dire ce qu’ils eurent à souffrir dans ces terribles moments. Pourchassés de retraite en retraite par les satellites et les espions, cachés le jour dans des trous de murailles ou dans les rochers les plus inaccessibles des montagnes, errants la nuit dans des chemins écartés et quelquefois impraticables, l’âme déchirée de mille angoisses à la vue de la ruine de leurs chrétientés, du découragement des néophytes, de l’apostasie des faibles, bien souvent ils souhaitèrent de tomber dans les mains des persécuteurs, et, comme ils l’ont avoué depuis, plus d’une fois ils songèrent à se livrer eux-mêmes.

« J’ai tout perdu, » écrivait M. Féron au séminaire des Missions-Étrangères, » j’ai tout perdu, jusqu’à mon bréviaire. Je ne possède plus que les habits qui me pourrissent sur le corps. Je ne puis attendre aucun secours de mes chrétiens qui sont eux-mêmes complètement ruinés. Tous sont frappés d’ailleurs d’une terreur incroyable qui paralyse toutes leurs facultés, et devient pour eux le plus grand péril, car beaucoup auraient passé inaperçus, s’ils ne s’étaient trahis d’avance en prenant la fuite. Inutile de vous raconter comment j’ai vécu pendant tout ce temps. Vous n’ignorez pas ce que c’est que le temps de persécution ; plusieurs d’entre vous le savent par expérience. Mais si cette vie est dure, la Providence divine est bien douce. Je puis dire que j’ai marché de miracle en miracle, allant là où je ne voulais pas, n’allant pas