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cantiques. Le jeudi saint au soir, ils étaient arrivés à quelque distance du lieu de l’exécution. Mgr Daveluy entendit les satellites qui formaient entre eux le plan de taire, le lendemain, un assez long détour afin d’aller montrer les condamnés dans une ville voisine. « Non, » s’écria-t-il aussitôt en les interrompant, « ce que vous dites là est impossible. Vous irez demain droit au lieu de l’exécution, car c’est demain que nous devons mourir. » Dieu, qui approuvait le pieux désir de son serviteur de verser son sang pour Jésus-Christ le jour même où le Sauveur a versé son sang pour nous, donna à ses paroles un tel accent d’autorité que tous, chefs, satellites et soldats, ne répliquèrent pas un mot, et lui obéirent ponctuellement.

Le lieu choisi pour l’exécution était une plage de sable sur le bord de la mer. Outre les préparatifs ordinaires, on avait disposé auprès de la tente du mandarin, neuf soldats avec des fusils chargés et prêts à faire feu, en cas de besoin, sur les confesseurs. Deux cents autres soldats formaient la haie, pour maintenir la foule qui accourait de toutes parts. Quelques chrétiens se glissèrent parmi les curieux. Ils racontent qu’au dernier moment, le mandarin ordonna aux prêtres européens de le saluer en se prosternant à terre. Mgr Daveluy dit qu’ils le salueraient à la française, ce qu’ils firent : mais le magistrat blessé dans son orgueil les fit jeter à terre devant lui. Mgr Daveluy fut décapité le premier. Une douloureuse circonstance vint, en prolongeant son agonie, augmenter sa conformité avec le Sauveur souffrant. Après avoir déchargé un premier coup qui fit une plaie mortelle, le bourreau s’arrêta. C’était un calcul de ce malheureux ; il n’avait point fixé le salaire de son œuvre de sang, et refusait de continuer, à moins d’une forte somme. Il fallut que les employés de la préfecture discutassent la question, ce fut long, puis qu’ils s’entendissent avec le bourreau, ce fut plus long encore. Le démon de l’avarice les possédait trop de part et d’autre pour qu’ils fissent attention à leur victime, dont les membres se tordaient convulsivement. Enfin le marché fut conclu, et deux nouveaux coups de sabre mirent le martyr en possession de la gloire. M. Aumaître suivit et reçut deux coups ; un seul suffit pour chacun des autres confesseurs. Avant l’exécution, par un raffinement de barbarie ignoble, Mgr Daveluy avait été complètement dépouillé de ses vêtements ; on avait laissé aux autres leurs pantalons, mais, dans la nuit, des misérables vinrent les leur enlever.

Les corps restèrent exposés trois jours, pendant lesquels ni les chiens, ni les corbeaux, qui cependant abondent dans ce pays,