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cachais, à leur insu, une tasse de thé pour boire pendant la nuit ; la fatigue et la fièvre m’altéraient singulièrement ; quand ils s’en apercevaient, ils me l’enlevaient impitoyablement, et pourquoi ? parce que ce n’est pas l’usage en Chine de boire pendant la nuit. Cette singularité, aperçue dans l’obscurité par des gens qui couchaient ailleurs, aurait pu me faire reconnaître pour Européen. Pourrait-on croire que la peur troublât ainsi le jugement ? C’était cependant la peur qui les faisait agir de la sorte. On craignait, disait-on, que je ne fusse reconnu et pris, et dès lors la mission de Corée serait restée abandonnée. Leur intention était bonne sans doute, et je dois leur en savoir gré ; mais ils auraient pu, ce me semble, user de moyens moins durs pour parvenir à leur but. Ils étaient d’une timidité qui est à peine concevable. Quand nous entrions dans une auberge, je devais me coucher le visage tourné vers la muraille. Si je m’asseyais en face d’une table, ceux qui étaient assis à l’autre table pouvaient m’apercevoir, disait-on ; si je me tournais en diagonale, c’était inouï en Chine ; si je me tournais vers le mur, c’était une singularité qui aurait pu faire naître des soupçons ; si j’étais placé du côté de la porte, les passants auraient pu connaître que j’étais Européen ; enfin, à leur avis, il n’y avait d’autre position favorable que d’être couché. Une fois ils me refusèrent du thé, parce que je ne portais pas mes lunettes ; or il était onze heures de la nuit. Il y en avait un surtout qui aurait voulu me faire pratiquer une mortification que n’ont pas pratiquée bien des saints anachorètes. Lorsque épuisé de fatigue ou presque asphyxié par un soleil ardent, j’allais m’asseoir à l’ombre, il en était scandalisé. Comment, me disait-il, chercher du soulagement ? C’est au soleil et parmi les ordures que vous devez reposer. Si vous entrez en Corée il est probable que vous mourrez martyr. Vous devez donc souffrir la chaleur, la faim, la soif, la fièvre, etc., dussiez-vous expirer en route. Ce qui signifiait en abrégé : vous devez mourir en Chine pour être digne un peu plus tard d’être martyr en Corée. Mais en voilà assez sur cet article ; je reviens à notre voyage.

« Depuis le Tche-kiang jusqu’aux frontières du Chang-si, c’est-à-dire l’espace d’environ trois cents lieues, nous marchâmes toujours dans des plaines vastes et fertiles : on trouve rarement quelques collines isolées. Pendant cinquante lieues, nous ne rencontrâmes pas même une butte ; c’était partout un plan uniforme qui s’étendait à perte de vue…

« Le 2 août, je fus reconnu par un Foquinois ; il dit à qui