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la divine Providence. Une nourriture abondante et saine aurait pu nous rendre nos forces, mais nous ne trouvions que de la pâte cuite à la vapeur de l’eau. Quelquefois encore le boulanger avait farci ses petits pains de feuilles d’une espèce de porreau fétide, qui les rendait immangeables pour moi. Mes gens, au contraire, étaient fort friands de ces pains. Quelquefois on nous donnait une écuellée de pâte coupée en petits morceaux et nageant dans de l’eau bouillante ; pour la rendre plus agréable au goût, on y jetait à poignées de l’ail, du poivre d’Espagne, de la courge crue, etc. ; puis on assaisonnait cet étrange ragoût d’une huile si rance, que le gosier en était écorché pendant vingt-quatre heures. Quoique je sentisse le besoin de manger, je n’ai pu m’accoutumer à cette bouillie. Après trois ou quatre bouchées, j’étais obligé de m’arrêter, quelques efforts que je fisse pour continuer. L’ail et les autres herbes chaudes m’incendiaient l’estomac et me causaient une soif ardente, que je ne pouvais point satisfaire. Il fallut donc y renoncer ; je me contentai de ces petits pains ; je prenais garde seulement qu’ils ne fussent point assaisonnés au porreau. J’aurais mangé des fruits et des melons, que l’on nous donnait pour un demi-sou la pièce ; mais la maladie dont j’étais menacé ne me le permettait pas.

« Le soir était le moment le plus favorable pour manger et pour me reposer, mais c’était alors que la fièvre était plus forte. Mes gens m’apportaient ma portion sur le lit où j’étais couché. J’avais beau leur dire : « Dans ce moment il m’est impossible de manger, mettez quelque chose dans un coin de mon lit ; lorsque, la fièvre sera sur son déclin, je mangerai : — Ce n’est pas l’usage en Chine de manger pendant la nuit, » me répondait-on. Sur cela, ils se retiraient avec l’écuellée. Il n’y avait que le thé chaud et pris en quantité qui me fît du bien, mais on n’en trouvait pas toujours dans ces misérables hôtelleries. Je faisais signe à quelqu’un de mes courriers de venir auprès de moi (il m’était défendu de parler) ; quand il venait (car il ne venait pas toujours), je le priais de me donner du thé : « Il n’y en a pas. — Eh bien, donnez-moi de l’eau. — L’eau fraîche est contraire à votre maladie ; quelque grande que soit votre soif, vous devez vous abstenir de boire de l’eau fraîche. — Donnez-moi donc de l’eau chaude. — En Chine on ne demande jamais d’eau chaude, à moins qu’on n’ait du thé. — Dites au maître d’hôtel que c’est pour un malade. — L’urbanité chinoise ne permet pas de fatiguer l’hôte de tant de demandes importunes. » Le résultat de ce dialogue était que je devais me passer de boire. Quelquefois je