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de soldats, accouraient au-devant de leur monarque qui allait rentrer. Or, lorsque je vous parle de soldats ou de mandarins, n’allez pas vous figurer les défilés du Champ-de-Mars de Paris, ou même du polygone de Toulouse. Un cheval marche au milieu de la rue, et au trot quoique, suivant la louable habitude du cheval coréen, il ne soit pas très-fringant, un esclave le conduit par la bride. Au-dessus siège le mandarin, qui, d’une gravité et d’une immobilité imperturbables, se tient raide comme un mannequin : autour de lui se pressent des gens, armés ou non armés, qui courent pêle-mêle, sans garder ni ordre ni rang. Cette escorte remplit, en outre, le rôle de musiciens. Le chef précède, et de cinq en cinq minutes, se tournant vers ses hommes, entonne le son grave où ; la troupe philharmonique fait chorus et prolonge sur le même ton la mélodieuse syllabe, tout autant de temps que les poumons de chacun peuvent le permettre. C’est aux sons de ce brillant concert que nous nous glissons dans la ville, et, comme le peuple accourt en grandes masses, la foule est si compacte qu’il n’est pas facile de passer au travers. Imaginez-vous donc votre serviteur faisant tous ses efforts pour se frayer un passage et se rallier à ses compagnons, s’embarrassant dans la foule, coudoyant en passant un petit mandarin piéton, allant se jeter par ricochet sur l’épaule d’un satellite ou celle d’un soldat, et se contentant pour toutes ces mésaventures de leur dire tout bas, de peur qu’ils ne l’entendent : Si tu savais qui je suis, tu ferais plus que me coudoyer.

« Notre courrier et le chrétien chez lequel nous sommes descendus nous précèdent pour nous indiquer la route à suivre ; nous les serrons de près, mais rangés à la file, comme des canards. La gravité et l’immobilité nous avaient été recommandées comme symbole de la vraie noblesse et du grand deuil ; notre énorme chapeau nous soustrait à tout regard ; mais en même temps il borne tellement notre horizon, que nous pouvons tout au plus voir les pieds de nos conducteurs ; encore faut-il, pour cela, les talonner de bien près. Or, comme tous les pieds se ressemblent, ne voilà-t-il pas qu’au milieu de la bagarre je me mets à la suite de deux autres Coréens qui me précèdent, et croyant bien ne pas manquer mon coup, je m’attache très-scrupuleusement à leurs pas. Mes nouveaux conducteurs me font couper plusieurs rues, m’engagent dans les ruelles, jusqu’à ce qu’enfin j’arrive à un cul-de-sac. Là, ils se détournent de mon côté pour entrer dans une maison ; je soulève mon chapeau, je les regarde, et à leurs traits, qui me sont complètement