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paraît se diriger insensiblement vers nous. Bientôt nous pouvons distinguer l’équipage, qui est composé de huit hommes. Tous se donnent beaucoup de mouvement, leurs gestes sont nombreux, précipités, allègres. Malgré le calme plat, la barque a franchi un grand espace, et, passant aussi près de nous qu’il est possible de le faire sans se compromettre, l’un d’eux jette à la dérobée le nom d’un de nos courriers, qui se hâte d’y répondre. Dieu soit loué ! nous voilà au comble de nos vœux. À peine la voix de notre courrier eut-elle été entendue, que, par une manœuvre subite, les Coréens déploient les voiles entre eux et le rivage, et, protégés par elles, ils font ensemble un grand signe de croix ; puis, joignant leurs mains sur la poitrine, ils se prosternent devant la bénédiction de leur évoque ; après quoi ils se lèvent, font quelques démonstrations de joie, et se dirigent vers la terre en attendant qu’ils puissent nous emmener avec eux. Mais les ténèbres de la nuit peuvent seules être témoins du mystère de notre entreprise ; car vous savez que la Corée réalise, en 1856, ce que les anciens disaient de l’antre de Polyphème : les lois du royaume condamnent à mort tout étranger qui s’introduit dans la presqu’île, et à plus forte raison ceux qui les y introduisent.

« La nuit du samedi saint, vers minuit, la barque coréenne se détache du rivage, passe assez près de nous pour que nous puissions l’apercevoir, et prend la route de la haute mer ; la jonque ne tarde pas à la suivre, et malgré le calme plat, après beaucoup d’efforts des matelots des deux bords, nous nous joignons. En moins d’une heure tout est transbordé, nous avons fait nos adieux à la jonque chinoise, nous sommes installés dans un nouveau logement, et nos pauvres chrétiens forcent de rames pour être au point du jour un peu éloignés de l’endroit où la contravention a eu lieu. Mais comment accélérer la marche d’une barque si lourde et si grossièrement façonnée ? Certes, il y a une différence extraordinaire entre les jonques chinoises et les navires de l’Europe, et cependant on peut encore dire hardiment que les Chinois l’emportent autant sur les Coréens que les Européens priment les Chinois. Figurez-vous une barque de la force des bacs qui servent dans l’Albigeois à passer le Tarn ; un peu plus de hauteur, un misérable pont, deux voiles, voilà toute la différence. Mais quelles voiles ! De la paille tressée de manière à former un quadrilatère et soutenue par des cordes également en paille. Les autres cordages, voire même le câble de l’ancre, tout est façonné avec de la paille. Les Coréens ne connaissant pas le calfatage, l’eau entre en si grande abondance par les jointures