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« Chère mère, » écrivait M. Berneux trois mois plus tard, » c’est un véritable bonheur pour moi de voir les grâces que, dans sa miséricorde, le bon Dieu daigne vous accorder. Voyez, ma chère mère ; cette vocation à aller porter aux peuples qui ne connaissent pas Dieu, la bonne nouvelle de l’Évangile, cette vocation que les personnes du monde qui ne pensent qu’à la terre, regarderaient comme un malheur pour vous et pour moi, est déjà pour vous la source de biens infiniment au-dessus des richesses de ce monde. Votre foi est devenue plus vive, votre confiance en Dieu plus ferme, votre amour pour lui plus ardent. Je ne cesse de remercier le bon Dieu de toutes les grâces qu’il se plaît à répandre sur nous avec tant de libéralité. Je ne sens plus maintenant ces déchirements que j’éprouvais auparavant, parce que je vous sais un peu consolée. »

Vers la fin de l’année, M. Berneux put annoncer à M. l’abbé Nouard, l’heureuse nouvelle de son appel aux missions, et de son prochain départ. « Si la persécution, qui a fait et fait probablement encore de si funestes ravages, se ralentit dans la Cochinchine et le Tong-king, on nous y enverra pour réparer les maux causés dans la vigne du Seigneur par le féroce sanglier. Si l’entrée nous en est fermée, nous irons ou dans la Tartarie, ou dans la Chine, ou dans la Corée. Oh ! qu’elle est belle la portion que m’a réservée le Seigneur ! Il est possible, comme vous le voyez, que bientôt je foule cette terre où coule encore le sang des martyrs, cette terre où tout doit prêcher la sainteté. N’est-ce pas là encore une de ces grâces que le Seigneur m’a tant de fois accordées pour triompher de ma malice ? Puissé-je en profiter enfin, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ! Je vais m’appliquer à devenir Chinois ; j’aurai bien des efforts à faire. Il me faudra désormais manger du riz, boire du thé, fumer la pipe, avoir la tête rasée, porter queue, et aussi la longue barbe si la nature y consent. Mais qu’importe ? Fallut-il marcher la tête en bas, les pieds en l’air, je suis déterminé à tout, pourvu qu’il en résulte la gloire de Dieu. »

M. Berneux quitta le Havre, le 12 février 1840. Ses compagnons de voyage étaient M. Maistre qui le précéda en Corée, et M. Chamaison, du diocèse de Montauban. La traversée fut très-pénible pour M. Berneux, qui souffrit du mal de mer pendant plus de cinq semaines. Les missionnaires arrivèrent à Manille le 26 juin, et y trouvèrent Mgr Retord, vicaire apostolique du Tong-king, qui était venu chercher la consécration épiscopale, la persécution ayant moissonné tous les évêques de la mission.