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sait sa compagne, l’exhortait à persévérer, et de temps en temps sortait pour aller arracher les racines qui leur servaient de nourriture. Elle goûtait dans cette solitude des consolations ineffables. Tant de bonheur fut troublé par l’arrivée de son frère. La vue du tigre l’eût moins épouvantée. Elle lit tout son possible pour obtenir de rester dans son antre ; elle employa tour à tour les exhortations, les prières, les menaces, elle lutta même de toutes ses forces pour ne pas être entraînée. Enfin elle fut ramenée à la maison paternelle, et sa mère de s’écrier : « Que signifie cette conduite ? Quelle folie ! Le démon lui-même t’a jetée dans ces illusions, c’est évident. Comment, à ton âge, tu ne craignais pas d’être dévorée par le tigre, ou de mourir de faim ? — ma mère ! » répondit Barbe, « ne vous troublez pas. Le bon Dieu n’abandonne pas ceux qui ont confiance en lui. »

« Depuis ce moment elle jeûnait régulièrement deux fois par semaine ; elle s’abstenait complètement de viande et de poisson. Pendant le carême, elle faisait un seul repas par jour. Elle était remplie de l’esprit d’oraison, et, tout en vaquant aux soins du ménage ou en travaillant dans les champs, elle ne cessait de prier. Elle savait par cœur tout le manuel des chrétiens qui, en Corée, est passablement long, le catéchisme, le résumé de la doctrine chrétienne, les vies de sainte Barbe, de saint Pierre et saint Paul, de plusieurs martyrs de la Corée, et autres petits livres de piété écrits en langue vulgaire par des Coréens. Jamais on ne la vit éprouver le moindre sentiment de colère ou d’impatience, jamais on n’entendit sortir de sa bouche ces exclamations cependant si naturelles : Quelle chaleur ! Quel froid ! Comme le vent est violent ! Comme cette pluie nous contrarie ! et autres semblables. Jamais ses parents n’eurent besoin d’user d’ordres, d’exhortations ou d’encouragements pour la décider à quelque besogne que ce fût. Elle prévenait toujours leur volonté et remplissait sa tache de manière à satisfaire tout le monde. Sa mère pouvait à peine modérer l’ardeur qu’elle apportait dans ses exercices de piété ou dans ses travaux manuels. « La vie est courte, » lui disait Barbe, « travaillons pendant que nous en avons le temps. Bientôt notre corps sera la pâture des vers, à quoi bon le ménager ? mieux vaut l’user jusqu’au bout. » Dans ses maladies, elle ne changeait rien à ses exercices de piété ni à ses mortifications. Quoique atteinte d’une fièvre tierce, elle ne voulut jamais garder le lit. Elle traitait son corps avec tant de rigueur que personne ne comprenait comment elle pouvait vivre, et cependant elle surpassait toutes ses compagnes en vigueur et en beauté.