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être insensible à leur sort, lorsque d’une seule parole vous pouvez leur conserver l’existence et aller vivre tranquillement avec eux ? pourquoi donc les abandonner ? pourquoi mourir ? Où sont les sentiments de votre cœur ? où est votre raison ? » Joseph répondit : « Voulez-vous donc que par affection naturelle pour mes enfants, j’en vienne à renier Dieu dont je suis moi-même l’enfant ? c’est impossible. » L’intérêt que lui avaient porté les satellites se changea alors en fureur ; ils le chargèrent d’injures grossières, puis le suspendirent la tête en bas, et le battirent de verges. Joseph reçut les coups avec joie : « Vous battez un mort, » leur disait-il, « et malgré vos coups je ne ferai pas d’autre réponse ; vous vous fatiguez en vain. »

Après trois mois de prison, le 27 de la septième lune, il apprit que le grand juge devait tenir séance, et le mettre à mort. Transporté de joie, il dit aux chrétiens prisonniers avec lui : « On dit qu’à la séance d’aujourd’hui on doit me faire mourir. Je n’ai aucun mérite ; mais si par un bienfait spécial de Dieu je puis mourir le premier et aller au ciel, je viendrai vous prendre par la main et vous introduire dans le royaume de notre Père. Surtout, ayez bon courage. » Un quart d’heure après, le grand juge le fit amener, le fit mettre à genoux devant son tribunal, et lui dit : « Est-il vrai que tu pratiques la religion du Dieu du ciel ? — Oui, depuis mon arrivée à la prison, j’apprends les prières. — Récite les dix commandements. — Je ne sais pas encore les réciter tous. — Si tu ne sais pas même les dix commandements, comment pourrais-tu aller au ciel ? Pour aller au ciel il faut être instruit comme Mathias Ni que voilà[1]. » Joseph branla la tête, et répondit d’un ton de voix élevé : « Un enfant ne peut-il donc pas avoir de piété filiale, sans être lettré ? Non, il est clair que les enfants ignorants peuvent aussi bien que les autres remplir tous leurs devoirs envers leurs parents ; et moi, quoique ignorant, je sais très-bien que Dieu est mon père, et cela suffit. — Assez de paroles inutiles ; si tu apostasies, je te laisserai vivre, sinon je vais te mettre à mort. — Devrais-je mourir dix mille fois, je ne puis renier Dieu. — Tu n’es compromis en rien dans toute cette affaire, pourquoi veux-tu abso-

  1. Mathias Ni était le fils de Pierre Ni Seng-houn-i, qui après avoir introduit l’Évangile en Corée, en 1784, désola les chrétiens par ses apostasies réitérées. Mathias était un lettré assez distingué. Il avait été arrêté en 1846, on ne sait pourquoi, car depuis la persécution de 1839, il suivait les errements de son père, et vivait exclusivement avec les païens. Il fut relâché quelque temps après le martyre de Joseph.