Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux-là. » On apporta une plume d’oiseau ; le juge me la présentant me dit : « Ne pouvez-vous pas écrire avec cet instrument ? — Ce n’est pas la même chose, » répondis-je, « cependant je puis vous montrer comment, avec les caractères européens, une même personne peut écrire de diverses manières. » Alors taillant la plume très-fine, j’écrivis quelques lignes en petites lettres ; puis, en coupant le bec, je formai des lettres plus grosses. « Vous le voyez, » leur dis-je, « ces caractères ne sont pas les mêmes. » Cela les satisfit, et ils n’insistèrent pas davantage sur l’article des lettres. Vous concevez. Monseigneur, que nos lettrés de Corée ne sont pas à la hauteur des savants d’Europe.

« Les chrétiens pris avec moi n’ont encore subi aucun tourment dans la capitale. Charles demeure dans une autre prison avec les personnes qui ont été prises avec lui. Nous ne pouvons avoir entre nous aucune communication. Nous sommes dans celle-ci dix individus ; quatre ont apostasié, trois d’entre eux se repentent de leur faiblesse. Matthieu Ni qui, en 1839, avait eu le malheur d’apostasier, se montre aujourd’hui plein de courage, et veut mourir martyr. Son exemple est imité par le père de Sen-sir-i, mon pilote, et par Pierre Nam, qui auparavant avait scandalisé les fidèles. Nous ignorons le moment où l’on nous conduira à la mort. Pleins de confiance en la miséricorde du Seigneur, nous espérons qu’il nous donnera la force de confesser son saint nom jusqu’à la dernière heure. Le gouvernement veut absolument s’emparer de Thomas, serviteur de Votre Grandeur, et de quelques autres principaux chrétiens. Les satellites paraissent un peu fatigués et moins ardents à la recherche des chrétiens. Ils nous ont dit qu’ils s’étaient portés à It-sen, Iant-si, Ogni et dans les provinces de Tsiong-tsieng et de Tsien-la. Je prie Votre Grandeur et M. Daveluy de rester cachés jusqu’après ma mort.

« Le juge m’annonce que trois navires de guerre qu’il croit français, ont mouillé près de l’île Ou-ien-to. « Ils viennent, » me dit-il, « par l’ordre de l’empereur de la France et menacent la Corée de grands malheurs ; deux sont partis en assurant qu’ils reviendraient l’année prochaine ; le troisième est encore dans la mer de Corée. » Le gouvernement paraît terrifié, il se rappelle la mort des trois Français martyrisés en 1839. On me demande si je sais le motif pour lequel ces navires sont venus. Je leur réponds que je n’en sais rien, qu’au reste il n’y a rien à craindre, car les Français ne font aucun mal sans raison. Je leur ai parlé de la puissance de la France et de la générosité de son gouvernement. Ils paraissent y ajouter foi ; cependant ils m’objectent