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répondre qu’au mandarin. Il passa environ trois lieues debout au milieu de cette multitude impertinente ; les uns lui découvraient la tête, les autres lui tiraient la barbe, tous se pressaient autour de lui et considéraient d’un air ébahi cet étrange personnage. « Je les regardais avec calme, écrit M. Maistre, et les laissais faire. Notre divin Sauveur fut bien plus maltraité la veille de sa Passion. Or, le disciple n’est pas au-dessus de son maître, et il doit se réjouir d’être traité comme lui. Vers minuit, la curiosité céda au besoin du repos ; on me conduisit avec Thomas et les deux courriers dans un cachot dont les murailles étaient en terre. Des lapins n’y seraient pas restés longtemps prisonniers ; mais loin de songer à la fuite, nous étions pressés de nous reposer des fatigues d’une journée si accablante, et j’éprouvai pour la première fois que l’on peut dormir tranquillement sous les verrous. »

Dès le matin le bruit de l’arrestation d’un étranger avait attiré toute la bourgade à la prison. Le papier des fenêtres fut bientôt déchiré par la populace : chacun voulait voir comment était fait un Européen. Pour satisfaire la curiosité publique, M. Maistre alla se promener quelques instants dans la cour : tous voyaient avec étonnement un homme paisible et sans peur au milieu de ces mêmes satellites, si justement redoutés des gens du pays comme des voleurs et des bourreaux. Vers dix heures le missionnaire fut conduit au tribunal du mandarin, qui le traita avec beaucoup de politesse. L’interrogatoire ne fut pas long ; en voici à peu près le résumé : « Qui êtes-vous, d’où venez-vous, et que venez-vous faire dans ce pays ? — Je suis chrétien, je viens d’Europe pour enseigner aux hommes à connaître et à aimer le Dieu du ciel. — Mais cette ville obscure n’est pas un théâtre digne de vos leçons, il faut aller dans les grandes provinces de la Chine. — Il n’y a pas d’endroit si petit qui ne doive connaître le vrai Dieu ; tous les peuples de la terre sont tenus de le servir. — Vous déclarez que vous êtes chrétien ; comment puis-je savoir la vérité ? — Cela est facile : voici la marque du chrétien, » et le missionnaire fit le signe de la croix. Il montra aussi au mandarin la croix de son chapelet et il ajouta : « Dans le décret de l’empereur, que vous devez avoir entre les mains, il est écrit que les chrétiens adorent la croix ; ce n’est pas ce vil métal que nous adorons, mais le Dieu Sauveur qui est mort sur la croix pour nous racheter. » Le mandarin considéra alors avec admiration la petite croix du missionnaire ; ses deux assistants firent de même ; il voulut ensuite voir la montre de M. Maistre ; après quoi il le renvoya au cachot où il