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hommes qui s’étaient exposés à tant de dangers pour venir à nous, cependant, dans l’extrémité où nous étions, nous crûmes devoir adopter leur avis. Nous nous mîmes alors à faire signe à nos compagnons de voyage de nous amener à eux, ce qui étant fait, nous leur exprimâmes le désir de passer à leur bord. On joignit aussitôt les deux barques assez près l’une de l’autre pour que nous pussions être tirés sur la leur avec des cordes. On était à les préparer et à nous lier la ceinture, lorsque le câble qui nous retenait à la jonque se rompit, et nous abandonna à la fureur des vagues. On nous jette aussitôt le même câble ; nous ne pouvons le saisir. C’en est fait. Emportés par le vent, nos Chinois sont déjà loin de nous. Nous leur tendions les bras en signe d’adieu, lorsque nous les voyons revenir. En passant devant notre barque, ils nous jettent des cordes ; vaine tentative ! nous n’en pouvons atteindre aucune. Ils reviennent une seconde fois et avec aussi peu de succès. Considérant alors l’inutilité de leurs efforts et le danger qu’ils couraient eux-mêmes de sombrer, ils continuent leur route, et disparaissent pour toujours à nos yeux.

« Quoique nous fussions loin d’en juger ainsi dans le moment, ce fut un bonheur pour nous de n’avoir pas quitté notre barque ; nous ne serions pas aujourd’hui dans notre chère mission, si une main invisible, disposant les choses mieux que notre prudence, n’avait enchaîné notre sort à celui de nos braves Coréens.

« Voilà donc notre Raphaël au milieu d’une mer en courroux, sans voiles et sans gouvernail. Je vous laisse à penser comme il a été ballotté et nous avec lui. Déjà il s’emplissait d’eau. On fut d’avis de couper les mâts. Nous avertîmes nos gens de ne pas les abandonner à la mer une fois abattus, comme ils avaient fait à leur premier voyage. Que les coups de hache me paraissaient lugubres ! Les mâts en tombant brisèrent une partie de notre frêle bastingage ; quand ils furent à l’eau, nous voulûmes les retirer sur le pont, ce qui aurait pu se faire, malgré l’agitation des vagues ; mais nos marins étaient si découragés, que nous ne pûmes les déterminer à cet acte de prévoyance. Ils se retirèrent dans leur cabine, prièrent un instant, puis s’endormirent.

« Cependant ces mâts, poussés par les flots, venaient par intervalle donner de rudes coups contre la barque ; il était à craindre qu’ils n’enfonçassent ses flancs déjà ébranlés, mais Dieu veillait sur nous, il ne nous arriva aucun malheur. Le jour suivant l’orage s’apaisa, la mer fut moins agitée ; notre équipage avait repris un peu de force et de courage dans le sommeil. On retira les mâts, on les mit debout ; ils étaient raccourcis de huit pieds ; sans doute