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meil ; en est-il un parmi ceux qui viennent qui puisse m’être aussi agréable à l’heure qu’il est ? De grâce, permets que je jouisse tranquillement de sa présence ; je ne connais pas les autres dont tu me parles. » Le maître de cérémonies s’en alla grommelant je ne sais quelles paroles. Il est à présumer qu’il ne fut pas fort édifié de ma dévotion pour ses grands dieux, et qu’il augura mal du succès de mon voyage.

« Voici la manière dont se fait cette réception nocturne. Le moment venu, c’est-à-dire à minuit, hommes, femmes, enfants, vieillards, tous sortent au milieu de la cour, chacun revêtu de ses plus beaux habits. Là, on se tient debout ; le père de famille qui préside à la cérémonie, promène ses regards vers les différents points du ciel. Il a seul le privilège d’apercevoir les dieux. Dès qu’ils se sont montrés à lui, il s’écrie : « Ils arrivent ! qu’on se prosterne ! les voilà de tel côté ! » Tous à l’instant se prosternent vers le point qu’il indique. On y tourne aussi la tête des animaux, le devant des voitures ; il faut que chaque chose dans la nature accueille les dieux à sa manière : il serait malséant que, à l’arrivée de ces hôtes célestes, leurs yeux rencontrassent la croupe d’un cheval. Les divinités étant ainsi reçues, tout le monde rentre dans la maison, et se livre à la joie d’un copieux festin en leur honneur.

« Nous demeurâmes huit jours à Hing-tchou-men. Le 4 de la première lune, laissant là notre traîneau désormais inutile, nous sellâmes nos chevaux et nous partîmes avec les chariots de l’aubergiste. Ses gens s’étaient engagés, moyennant un prix convenu, à fournir du fourrage à nos montures et à porter nos provisions pendant que nous traverserions la forêt, car on n’y trouve que du bois pour se chauffer et faire cuire ses aliments. Enfin nous arrivâmes à Ma-tien-ho près de Ningoustra, où commençait la route, dont l’autre bout atteignait la mer à une distance de soixante lieues. Il y a sept à huit ans, on ne rencontrait sur le chemin aucune habitation, aucune cabane qui donnât un abri aux voyageurs. Ceux-ci se réunissaient en caravanes et campaient à l’endroit où la nuit les surprenait, en ayant soin pour écarter les tigres d’entretenir des feux jusqu’au matin. Aujourd’hui des hôtelleries sont échelonnées sur les bords de la route : ce sont de grandes huttes, construites à la manière des sauvages, avec des branches et des troncs d’arbres superposés, dont les intervalles ainsi que les plus grosses fentes sont bouchés avec de la boue. Les architectes et maîtres de ces caravansérails enfumés sont deux ou trois Chinois, qu’on appelle en langage du pays Kouang-koun-tze (gens sans famille), venus de loin, la