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positive ; aucun chrétien coréen n’avait paru, mais les marchands disaient que deux ou trois étrangers avaient été mis à mort avec Augustin Niou, comme coupables d’avoir prêché au peuple une religion perverse. Voulant à tout prix sortir d’une aussi cruelle incertitude, M. Maistre et son élève conçurent le hardi projet de pénétrer en Corée, à la onzième lune, déguisés en mendiants. Ils se procurèrent quelques haillons, et tout était prêt pour leur départ, lorsqu’arriva Mgr Verrolles, vicaire apostolique de Mandchourie, qui désapprouva ce projet comme contraire aux règles de la prudence. Il fut donc résolu que l’élève André irait seul à la découverte.

Le 23 décembre, il se mit en route avec deux courriers. Ils n’étaient plus qu’à deux lieues de Pien-men, la dernière ville chinoise, lorsqu’ils rencontrèrent l’ambassade coréenne allant à Péking ; elle formait une caravane d’environ trois cents personnes. Surpris de cette rencontre inopinée, André s’arrête et regarde défiler les Coréens devant lui. Il s’approche de l’un d’eux afin de voir son passeport, que les envoyés coréens portent ordinairement à leur ceinture d’une manière ostensible. « Comment t’appelles-tu, » lui dit-il. « Je m’appelle Kim, » répond le Coréen et il continue sa marche. André le voit s’éloigner avec regret : « Ce Coréen, disait-il en lui-même, paraît meilleur que les autres, il n’y a pas grand danger à l’interroger sur les affaires de Corée. Je n’aurai plus de longtemps une occasion si favorable. » Se rapprochant alors de lui, il lui dit sans détour : « Es-tu chrétien ? — Oui, » répond le Coréen, « je le suis. — Quel est ton nom ? — François. » André le considère alors plus attentivement, et reconnaît un fervent chrétien qu’il a vu autrefois en Corée. Il se fait connaître à son tour, et apprend que l’évêque et les deux prêtres ont eu la tête tranchée. Plus de deux cents chrétiens ont été conduits au supplice. Son propre père a été décapité, et sa mère réduite à la mendicité n’a plus de demeure fixe : les chrétiens lui donnent tour à tour asile. Le père de son ami et condisciple Thomas est mort sous les coups, et sa mère a été décapitée. Maintenant la persécution est apaisée, et un calme apparent a succédé à cette terrible tempête, mais les pauvres chrétiens sont encore saisis de frayeur, et craignent de rencontrer à chaque pas un satellite ou un faux frère, car les décrets lancés contre eux ne sont pas rapportés, et tous les prisonniers n’ont pas été relâchés.

Le courrier François remit ensuite à André tout ému divers papiers cachés dans sa ceinture. C’étaient : la relation de la persécution, écrite par Mgr Imbert jusqu’au jour de son arrestation ;