Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à lui. Elle entra donc sans autre formalité à la préfecture, pour se rendre a la prison ; mais le juge, l’ayant aperçue, demanda quelle était cette femme. Elle répondit : « Je suis la mère du prisonnier Jean T’soi, et je suis venue pour le voir. — Mais ne serais-tu pas aussi chrétienne ? reprit le juge. — Oui, sans doute, je le suis. — Dans ce cas, tu ne pourras ni voir ton fils ni t’en aller, qu’après avoir apostasié. — Devrais-je ne plus revoir mon fils, devrais-je même mourir, je ne puis renier mon Dieu. Homme ou femme, vieillard ou enfant, qui jamais pourrait renier le souverain Maître ? — Cette femme est une criminelle, » dit le juge, et il commanda de la mettre à la question qu’elle supporta sans fléchir, puis il la fit jeter en prison, avec ordre de la laisser mourir de faim. Cet ordre fut assez mal exécuté, et après qu’elle eut passé quatre mois dans les souffrances et les privations, le juge réitéra son ordre, ajoutant qu’il fallait lui apporter, sous trois jours, la nouvelle de sa mort. Cet espace de temps ne suffisant pas pour éteindre en elle le dernier souffle de vie, les geôliers allèrent dans son cachot pendant la nuit, et l’étranglèrent en appuyant fortement sur la cangue qu’elle portait au cou. C’était la nuit du 3 au 4 de la onzième lune de cette même année, décembre 1839. Elle était âgée de cinquante-sept ans, quand elle alla ainsi rejoindre son neveu Jean, qu’elle aimait véritablement comme son propre fils. La mère du geôlier dit à un chrétien alors en prison dans cette ville : « Brigitte est certainement montée au ciel, car, lorsqu’on l’a étranglée, on a vu s’élever de son corps un rayon lumineux. »


Revenons à la capitale. Mgr Imbert s’était livré au martyre et y avait appelé ses missionnaires, dans la conviction que la mort des pasteurs apaiserait le violent orage déchaîné sur le troupeau. On vient de voir, par le récit des nombreuses exécutions qui suivirent presque immédiatement, combien ce généreux espoir avait été trompé. Il paraît certain toutefois que telle était d’abord la pensée du gouvernement coréen, et que la persécution devait cesser après la mort des prêtres européens. Mais ce n’est pas impunément qu’on entre dans la voie de l’injustice ; il est bien difficile de s’y arrêter à un point marqué d’avance, car l’abîme appelle l’abîme, un crime appelle d’autres crimes, et, bon gré, mal gré, ceux qui avaient commencé la persécution durent la continuer. Les circonstances furent plus fortes que leurs hésitations.

Le traître Kim Ie-saing-i voulait achever sa fortune, en mettant la dernière main à son œuvre de destruction. Pour faire valoir sa fidélité au roi et son dévouement au bien public, il