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misérable montagnard, tu oses ainsi usurper l’autorité des magistrats ! et par le seul motif d’une noire malice, tu vas troubler de paisibles et fidèles sujets du prince !… » On assure que le mandarin a donné du poids à cette réprimande en la faisant suivre d’une vigoureuse bastonnade ; quelques-uns ajoutent même que cet homme est condamné à l’exil. Je crois bien que les chrétiens, surtout ceux d’An-iang, ainsi que les parents des captifs, auront eu du mal, en apprenant cette nouvelle, à repousser de leur cœur des pensées de satisfaction peu charitables. »

Une autre cause de chagrin pour le missionnaire, c’était le spectacle de la misère à laquelle les pauvres chrétiens étaient réduits. « Toujours persécutés, écrivait-il alors, ils n’ont pas cessé de se cacher. Pour éviter de participer aux superstitions et aux idolâtries des païens, la plupart ont été obligés de fuir dans les montagnes, de se réfugier dans des lieux que personne n’avait jamais voulu habiter à cause de la stérilité. Lorsqu’ils savent ou soupçonnent que les païens les connaissent, ils disposent de leurs fonds le plus promptement possible. S’ils ne trouvent pas d’acheteurs, ils abandonnent tout et s’enfuient dans un autre lieu, où ils espèrent pouvoir vivre quelque temps en sûreté ou avec moins de danger. Ces émigrations trop souvent répétées en ont déjà réduit un grand nombre à un état de dénûment au-dessous de la mendicité. Je ne puis vous donner une idée véritable de la misère des pauvres en Corée. J’ai vu au cœur de l’hiver, par un froid de 10 à 12 degrés, des enfants presque entièrement nus, noirs de froid, gémir à la porte des infidèles. Des racines d’herbes sauvages, arrachées dans les forêts, et de l’eau, voilà la nourriture d’un grand nombre de nos chrétiens, à certaines époques. »

Mais la plus grande affliction de M. Maubant, pendant les premiers mois de son séjour en Corée, la plus terrible épreuve que la Providence lui ménagea, ce fut la conduite du P. Pacifique Yu. Nous avons vu l’opposition mal dissimulée de ce prêtre chinois, à toutes les tentatives, à tous les arrangements de Mgr Bruguière. En voici la cause et l’explication. Le P. Yu s’était, il est vrai, offert avec beaucoup de zèle à la Propagande, pour la mission de Corée ; son entrée dans ce pays avait comblé de joie les chrétiens qui soupiraient après un pasteur ; mais ce zèle tomba presque tout à coup, et cette joie des néophytes se changea en douleur. Le P. Yu, arrivé à la capitale, refusa d’apprendre la langue coréenne, rendant ainsi l’accès des sacrements à peu près impossible au plus grand nombre des