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à venir me chercher. Ils poussaient des clameurs injurieuses et, sans aucune précaution ni ménagement, me mirent à cheval sur un bâton, m’enlevèrent et vinrent me déposer vis-à-vis du juge qui me dit : « Tu peux voir qu’il y a ici beaucoup de livres écrits par toi. Tu passes pour être le chef de trois provinces, et avoir fourni nombre de livres aux autres chrétiens. Avoue tout franchement, et ne t’obstine pas à mourir dans les tortures. » Je n’avais pas la force de parler. On me fit prendre un peu de vin, et à grand’peine je pus articuler quelques mots. Dans cet interrogatoire, d’après ce que m’avaient dit les chrétiens que j’avais rencontrés en route, j’avouai avoir copié quelques volumes pour eux, ajoutant que chez moi il n’y en avait pas, comme pouvaient le certifier les satellites qui avaient fouillé ma maison. « Quand je copiai ces livres, ajoutai-je, ce fut chez ces chrétiens et sur de vieux exemplaires qu’ils avaient. — Tu ne dis pas vrai, et tu ne dis pas tout ; nous verrons la fin. » Bientôt après je fus remporté, sans avoir eu à subir d’autre supplice.

« Cette nuit-là on me déposa chez les prétoriens. Ils se réunirent en assez grand nombre autour de moi et me dirent : « Vous prétendez être noble et toutefois vous ne parlez pas franchement devant le mandarin. Ni Ie-tsin-i[1] n’ayant pas été saisi, cette affaire ne peut se terminer. Il est certain qu’il était dans votre village, et s’il en est sorti, c’est vous qui avez dirigé sa fuite. Dire que vous ne le connaissez pas et tromper aussi sur les livres, c’est vous exposer à des tortures plus cruelles encore. Comment y tiendrez-vous ? Demain on doit encore recommencer la question. Avouez-nous tout ici, et nous en avertirons le juge. » Je répondis : « Désirer la vie et craindre la mort est un sentiment commun à tous ; et qui donc voudrait de gaîté de cœur s’attirer des souffrances ? Mais vous, vous ne procédez que par supplices, sans faire attention au fond des choses. Est-ce là de la justice ? — Pourquoi vouloir prendre nos paroles en mauvaise part ? nous n’agissons que pour vous épargner des souffrances. Dénoncez seulement ce Ni, et on ne parlera plus d’autre chose. Nous nous en chargeons. Pourquoi vous entêter ainsi ? — J’ai dit tout ce que j’avais à dire, et n’ai rien de plus à avouer. Si je meurs, tout sera fini par là. Si on me laisse la vie, c’est un ordre de Dieu ; mais je n’ai guère le désir de vivre. Reconduisez-moi vite là où j’étais. » Tout ceci avait été suggéré par le mandarin lui-même.

  1. Il paraît que Ni Ie-tsin-i avait non-seulement été dénoncé comme chrétien, mais que ses voyages à Péking avaient aussi été révélés. Autrement, l’acharnement avec lequel on le poursuivait serait tout à fait inexplicable.