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en 1827, que la persécution venait d’éclater, il engagea les autres à fuir pour l’éviter, mais lui-même attendit en paix que Dieu manifestât sa volonté. Une bande de plus de cent satellites[1] cerna bientôt le village où il se trouvait, et se rua sur les pauvres chrétiens. Pierre, sans s’effrayer, alla en riant à leur rencontre, et aussitôt, lié de la corde rouge comme les grands criminels, fut conduit par eux au tribunal de Ko-san. Il semblait se rendre à un festin. « Suis-tu cette mauvaise religion ? lui demanda le mandarin. — Je ne suis point de mauvaise religion, mais j’adore seulement le vrai Dieu du ciel et de la terre. » On le fit mettre à la cangue, et on l’envoya au juge criminel de Tsien-tsiou, qui lui dit : « Toi aussi, tu es de cette mauvaise secte prohibée par le roi et les mandarins ; si tu renies Dieu, je te relâche, toi et tes enfants, sinon, tu seras mis à mort. » Pierre fit alors, à haute et intelligible voix, cette admirable réponse qui a été rapportée par des témoins oculaires de son procès : « Dussé-je mourir sous les coups, je ne puis renier mon Dieu. Ces sentiments ont pénétré ma chair et mes os. Me coupât-on les membres, chaque morceau en resterait imprégné ; me broyât-on les os, chaque fragment les conserverait intacts ; non, dix mille fois non, je ne puis renier mon Dieu. »

Pierre ne redoutait pas plus ses juges qu’il n’avait autrefois redouté les tigres. Le mandarin, furieux de l’entendre ainsi parler, le fit dépouiller de ses vêtements et battre de verges, aussi violemment que possible. Pendant que le sang ruisselait de son corps, Pierre invoquait avec ferveur les saints noms de Jésus et de Marie, et conservait un visage souriant et joyeux. De là, il fut transporté dans une chambre voisine, où il eut à subir de la part des satellites et valets des supplices plus cruels encore ; mais sa résolution resta inébranlable. Le lendemain, il comparut de nouveau devant le juge qui lui demanda ses livres de religion, et le somma de dénoncer ses complices. Sur sa réponse négative, on lui fit subir par trois fois la puncture des bâtons. Pendant cette affreuse torture, Pierre perdit connaissance, et fut reporté à la prison. Il reprit peu à peu ses sens et, voyant tout son corps

  1. On s’étonnera peut-être de voir ainsi de tous côtés des satellites sans nombre. Il est certain qu’il y en a énormément dans le pays. D’ailleurs, on donne habituellement ce nom à tous ceux qui les suivent, car les satellites proprement dits ont souvent sous leurs ordres, chacun deux, trois ou quatre valets qui les accompagnent. Il y a en outre d’autres gens que l’on recrute en cas de besoin, pour courir de côté et d’autre, à peu près comme on louerait des hommes de journée.