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« Le temps passe vite, voilà plus d’un an que nous ne nous sommes rencontrés, et de part et d’autre notre peine est sans doute égale. Par occasion j’ai appris de vos nouvelles ; Dieu soit béni de ce qu’en ce terrible hiver, vous avez pu survivre à tant de privations. Pour moi, j’ai maintenant à supporter l’emprisonnement pour la foi. C’est, il est vrai, une belle position, mais malheureusement je n’ai encore que le beau nom de martyr, et à cause de mes péchés, tout est resté à un simple commencement ; le dénouement ne vient pas, et les choses traînent en longueur. Je suis comme les arbres de la forêt qui ne portent aucun fruit ; si tout en reste là, de quoi cela me servira-t-il ? Le temps est un trésor ; qu’on le perde une fois, jamais il ne peut se retrouver. Si je ne fais pas mes efforts en ce moment-ci, quel temps attendrais-je donc pour les faire ? Même dans les affaires du monde, si on manque l’occasion favorable, il est difficile de la retrouver ; à plus forte raison, dans l’affaire du salut de l’âme.

« Pour moi, en embrassant la religion, je n’ai pas eu d’autre but que le service de Dieu et le salut de mon âme ; la position où je me trouve aujourd’hui n’a donc rien que de bien naturel, et mon cœur ne s’en rebute pas trop. Mais en apprenant la triste situation de ma femme, je m’afflige et me désole. On assure que pendant les rigueurs de l’hiver, elle n’a pas un endroit où se retirer, et quoique, dans le village où elle se trouve, tous soient nos parents ou connaissances, à cause de mon état présent, personne ne veut la secourir. Chacun prétexte la crainte de se compromettre, et elle est réduite à chercher ailleurs un refuge. Comment la dureté et l’insensibilité peuvent-elles être portées à ce point ? Nous autres chrétiens, dès que nous embrassons la religion, nous quittons notre pays pour servir Dieu et sauver notre âme, et nous nous retirons au loin dans des lieux où nous ne connaissons personne. Nous faisons pour notre salut tous les sacrifices ; nous considérons tout, adversité ou prospérité, comme l’ordre de Dieu ; mais si toutes les peines qui nous viennent de la part des hommes sont un ordre de Dieu, si la joie ou la douleur, tout devient moyen de salut quand nous en usons bien, n’est-ce pas une meilleure œuvre encore de soulager ceux qui sont seuls et sans appui ?

« Prenez donc soin de ma femme, qui n’a aucun lieu pour s’abriter. Si vous la recevez dans votre maison, si vous la regardez comme une parente et tâchez de conserver son corps et son âme, vous travaillerez par là à votre propre salut ; aussi je vous la recommande avec confiance. Je le fais d’autant plus librement