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se suffire à lui-même. D’ailleurs, tant de souffrances ont fait changer de disposition à plusieurs qui sont devenus craintifs et soupçonneux. Mais dix ans se sont écoulés depuis cette violente tempête ; les circonstances ont changé, et la crise est moins violente. Peu à peu les esprits peuvent se ranimer, les choses reprendre leur cours. Si nous avions la grâce des sacrements, la religion pourrait bientôt briller d’un nouveau lustre. Mais nous n’avons plus d’hommes de talents ; il ne nous reste guère que des hommes simples et grossiers. Nous formons bien des désirs, mais nous n’avons aucun moyen à notre disposition ; quand même on rencontrerait quelqu’un qui pût traiter les affaires, nos maisons étant vides, nos bourses sans argent, ne sachant où tendre la main, que pourrions-nous faire, sinon pleurer, gémir et nous affliger ?

« C’est la raison pour laquelle, depuis dix ans, nous n’avons envoyé personne à Péking. En vain nous élevions la tête, nous nous levions sur la pointe de nos pieds ; en vain nous regardions vers le nord, nous pleurions, et nous poussions des cris. Nous n’aurions point été arrêtés par la difficulté des routes ; le danger pour nos vies ne nous eût point effrayés ; mais nous ne pouvions ramasser quelques centaines de taëls pour le viatique des députés. Dans le commencement on avait construit des corps de garde de tous côtés pour surveiller le pays. Les sentinelles étaient aussi près l’une de l’autre que les arbres dans une forêt. Les plus petits villages, sur les frontières, étaient gardés comme des villes en temps de guerre. Depuis quelque temps, on s’est relâché de cette sévérité ; l’état des choses permettait d’agir : mais d’un côté notre indigence nous laissait sans ressource ; d’un autre, étant dispersés au loin, nous ne pouvions nous réunir et suivre notre désir. Le cœur navré de douleur et rempli d’amertume, nous ne pouvions que gémir sans savoir que faire.

« Tout le royaume a pris part à la grande persécution ; elle faisait la matière de toutes les conversations. L’excellente doctrine et les bons exemples des chrétiens remplissaient tous les yeux et toutes les oreilles ; leurs discours pathétiques touchaient tous les cœurs. On s’étonnait de voir combien la religion est supérieure à la science du monde ; on admirait la charité des chrétiens ; presque tous les cœurs en étaient attendris. On condamne comme injuste la mort de ceux qui ne sont plus ; on a compassion de ceux qui restent. Non, la lumière du ciel ne peut s’éteindre, le cri de la conscience ne s’étouffe point. Ce sentiment est commun à tous les hommes ; mais, faute des secours que procurent les sacrements, rien dans l’intérieur n’excite et n’anime la volonté. Bafoués,