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me chérit entre tous d’une affection toute particulière, par la raison peut-être, dit-elle, qu’elle m’a portée et élevée dans ses bras. Certes il en est bien de même de ma part, et je lui ai voué une bien vive affection, mais raison de plus pour ne pas vous affliger de ma mort. Si, par la grâce de Dieu, j’ai le bonheur de parvenir au royaume du ciel, quand, après avoir assidûment acquis des mérites, vous ferez une bonne mort, je veux moi-même vous y attirer et vous conduire par la main. Ayant pris la plume pour vous faire des adieux éternels, je ne voudrais rien omettre de ce que j’ai à dire, et toutefois, ne pouvant écrire tout ce que je pense, je suis obligée d’abréger. J’espère vivement que vous pratiquerez le bien et recueillerez des mérites ; conservez votre corps en bonne santé et votre âme toute pure, afin de pouvoir monter au ciel, afin que nous jouissions ensemble des joies éternelles. Après ma mort, je le demanderai instamment et sans cesse. Mais si par hasard mes vœux n’étaient pas comblés, si j’étais condamnée à vivre, ah ! ce serait une chose terrible ! Mais non ; j’ai confiance en mon doux sauveur Jésus-Christ.

« Après mon arrestation, craignant que mon procès ne fût de suite terminé, j’ai adressé quelques lignes à ma mère ; lisez-les, et après avoir aussi pris lecture de cette lettre-ci, veuillez l’envoyer aux autres membres de la famille, pour qu’en les lisant, ils se figurent encore une fois me voir moi-même. Voilà une bien longue lettre et bien des paroles. N’ayant moi-même aucune vertu, j’ai eu l’audace d’exhorter les autres ; vraiment ne suis-je pas comme ces bonshommes de bois placés sur le bord des chemins, qui enseignent la route, sans faire jamais eux-mêmes un seul pas ? Toutefois, comme il est dit que les paroles d’un mourant sont droites, peut-être les miennes ne seront-elles pas trop fautives ; lisez-les avec indulgence.

« Niou-hei. »


Nous ne trouvons pas la date de cette lettre, mais, d’après les faits qui y sont mentionnés, elle a dû être écrite à la onzième lune de cette année sin-iou.

Luthgarde et les autres confesseurs, rappelés en prison, lorsqu’ils étaient déjà sur le chemin de l’exil, eurent à subir de nouveaux interrogatoires, dont les détails ne nous ont pas été conservés. On rapporte seulement qu’après leur condamnation à mort, on leur brisa les doigts des pieds sans qu’ils en ressentissent aucune douleur.