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écrire la dix-millième partie de ce qui s’est passé depuis quatre ans, mais chaque fois que l’on crie pour faire comparaître quelqu’un des prisonniers, il me semble toujours que c’est moi qu’on appelle, et je cesse d’écrire ; puis, recommençant, je cesse encore. Mes phrases sont sans suite et peut-être incompréhensibles, mais pensant vous faire plaisir par quelques lignes de ma main, je tâche de saisir les moments et de dire quelques mots. Par l’infinie bonté de Dieu, si, ne me rejetant pas entièrement, il m’accorde la grâce du martyre, et que mon frère aussi l’ait obtenue, vous aurez deux enfants qui vous précéderont ; se pourrait-il que nous ne vous conduisions pas à bon port ? Quoique je meure, pourrais-je oublier ma mère et mes sœurs ? Si j’obtiens l’objet de mes désirs, un jour je vous reverrai ; mais n’ayant aucun mérite, il ne faut pas parler trop haut avant d’avoir fait une bonne mort.

« Ma belle-sœur, si mon frère vient à mourir, veuillez ne pas écouter seulement la nature et vous affliger trop. Les époux ne formant plus qu’un seul être, qu’une des parties monte au ciel, il y conduira facilement l’autre ; ne soyez donc pas lâche pour le bien, n’attristez pas votre cœur inutilement pour faire de la peine à Dieu et à mon frère. Tong-oan-i étant le seul rejeton du sang de mon frère, il est plus précieux que tout autre ; soignez donc bien son corps et son âme, et quand il sera grand, mariez-le et tâchez de faire de lui et de sa femme de saints époux.

« Pour moi, pendant vingt ans de vie, n’ayant passé aucun jour sans faiblesses, et n’ayant de plus jamais rempli mes devoirs de fille, me voilà sur le point de partir sans laisser aucune trace de piété filiale ; ma sœur, soignez d’autant plus ma mère, et faites encore à ma place ce que j’aurais dû faire. La piété envers le corps est bonne, mais celle envers le cœur est encore meilleure. Ayant vécu, moi aussi, près de mon beau-père et de ma belle-mère, j’ai vu que ce qui les satisfait davantage, c’est d’entrer dans toutes leurs vues et sentiments. Si, étant pauvre, vous ne pouvez traiter ma mère entièrement selon vos désirs, entrez du moins dans toutes ses intentions et consolez-la bien ; réveillez souvent son intelligence obscurcie, et si par hasard elle avait quelque petit tort, ne vous contentez pas de lui adresser quelques bonnes paroles, faites-le encore d’un air gai et serein. Si elle est dans la tristesse, déguisez bien la vôtre, faites même l’enfant avec elle, et, par quelque parole agréable ou plaisante, forcez-la à se remettre. Après la mort de mon frère aîné, mes jeunes frères n’ont d’appui qu’en vous ; cumulez la charge de frère et de sœur aînée, élevez--