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papier, et je n’avais pu encore le lui faire parvenir, quand les relations furent sévèrement interdites, et toute voie de communication coupée. Néanmoins l’objet de mes prières secrètes, mon désir, mon espérance étaient toujours que nous pussions mourir ensemble, le même jour, martyrs pour Dieu. Qui aurait pu deviner les desseins adorables du souverain Maître ? Le 9 de la dixième lune, on nous enleva mon beau-frère, appelé Jean, je ne savais dans quelle intention. « Où va-t-il donc ? demandais-je. — C’est l’ordre du mandarin, répondit le geôlier ; on va le conduire à la grande prison, et l’enfermer avec son frère. » J’étais comme coupée en deux, comme percée de mille glaives. On l’emmena. « Que la volonté de Dieu soit faite, lui dis-je, allez et soyez avec lui ; ne nous oublions pas. » Puis je lui recommandai instamment : « Dites à Jean que mon désir est de mourir avec lui, le même jour. » Par deux et trois fois je répétai cette recommandation ; puis, nous lâchant la main, je me retournai.

« Nous restions quatre, tout déconcertés, et n’ayant d’appui qu’en la protection du Seigneur. Un quart d’heure ne s’était pas écoulé que la nouvelle de leur mort nous arriva. Le coup porté aux sentiments de la nature n’eut chez moi que le second rang ; le bonheur de Jean me remplissait de joie. Je sentis toutefois quelque anxiété dans le fond de mon âme. — Ô mon Dieu, qu’est-il devenu ? me disais-je ; était-il bien préparé à une mort aussi soudaine ? Dix mille glaives semblaient me déchirer le cœur, et je ne savais où tourner mes pensées. Une heure environ se passa ainsi, et je sentis le calme renaître un peu. « Ce genre de mort même ne serait-il pas une faveur de Dieu ? Après tout, il avait bien quelques mérites ; se pourrait-il que Dieu si bon, si miséricordieux, l’eût rejeté ? » Mon cœur était moins agité, mais mes pensées se reportaient sans cesse sur lui. J’interrogeai un de nos parents qui me dit : « Soyez tranquille, à l’avance il avait bien pris sa détermination. » Enfin, une lettre arriva de la maison ; elle portait : « On a trouvé dans les habits de Jean, un billet adressé à sa sœur (c’est ainsi qu’il m’appelait toujours) ; ce billet était ainsi conçu : Je vous encourage, vous exhorte et vous console ; revoyons-nous au royaume des cieux. » Alors seulement toutes mes inquiétudes furent dissipées. Au fait, quand je pense à toute sa conduite, il n’y a rien à regretter ; il avait dépouillé l’esprit du siècle, et on pouvait le dire un véritable chrétien. Son assiduité, sa ferveur, sa droiture, lui avaient acquis l’estime générale.

« Quand nous avons réalisé ensemble ce que je désirais depuis