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et misérable que je suis, me promettre le martyre ? » Ils furent conduits au mandarin, et, dès le premier interrogatoire, le père fut puni de sa folle présomption et, pour avoir trop compté sur ses propres forces, fit une chute déplorable. Le mandarin dit à Pierre : « Toi aussi renonce à ta religion. — Je ne puis le faire, répondit Pierre. — Eh quoi ! quand ton père veut conserver sa vie, tu voudrais mourir ? N’est-ce pas là un manque de piété filiale ? — Nullement. Si les parents viennent à dévier et que les enfants continuent à remplir tous leurs devoirs, dira-t-on pour cela que les enfants manquent à la piété filiale ? Chacun, il est vrai, doit honorer et servir son père et sa mère selon la nature, mais il y a, avant eux et au-dessus d’eux, le grand Roi et Père commun de toutes les créatures du ciel et de la terre ; c’est Lui qui a donné la vie à mes parents, c’est Lui aussi qui me l’a donnée, comment dès lors pourrais-je le renier ? » Le mandarin irrité lui fit subir deux ou trois autres interrogatoires accompagnés de tortures plus cruelles qu’à l’ordinaire, dans lesquelles il eut un genou brisé et détaché de la jambe, et tout le corps couvert de plaies. Pierre eut à supporter une épreuve plus redoutable. Le mandarin voyant l’inutilité des exhortations et des supplices, fit appeler le père et lui dit en présence du confesseur : « Je suis forcé de vous faire mourir à cause de votre fils. Parlez-lui donc, une seule de vos paroles peut sauver la vie à tous les deux ; tout dépend de vous, exhortez-le à se repentir. » En même temps, il le fit frapper cruellement sous les yeux de son fils. Pierre, vaincu, s’écria : « Je ne puis rompre avec les sentiments de la nature. Je ne veux pas que mon père meure à cause de moi, sauvez-nous tous deux. » Puis il fit sa soumission, et le mandarin, joyeux de son succès, les fit relâcher et renvoyer immédiatement.

Mais Pierre en sortant du tribunal rencontra Martin Ni, qui le réprimanda vivement de sa faiblesse, et l’exhorta à une prompte pénitence. Il n’avait cédé qu’à un aveuglement de tendresse filiale, et la loi était toujours vivante dans son cœur. Effrayé de sa faute et touché d’un sincère repentir, il passa la nuit dans les larmes, et dès le lendemain matin se présenta devant le juge : « Ce que j’ai fait hier, lui dit-il, est maintenant pour moi la cause d’un regret mortel. J’espère que le mandarin voudra bien faire mourir le fils pour sa propre faute et traiter le père selon ses désirs, car il serait injuste, pour la faute du fils, de faire mourir aussi le père ? À chacun selon ses œuvres. »

Le mandarin, d’autant plus vexé qu’il s’était imaginé à la