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cinq ans, mais assez peu fervents. Nous désirions vivement voir le prêtre, et depuis longtemps je fatiguais de questions un chrétien de mes amis, fonctionnaire public. Une nuit, je couchai chez lui, et le matin, en réponse à mes instances, il se leva, tira de son armoire une paire de bas d’enfants, et me donna ces bas en me disant de les chausser. Les ayant regardés, il me parut qu’un enfant lui-même ne pouvait les mettre, et tout étonné je dis : « Ceci est une mauvaise plaisanterie. Pourquoi engagez-vous une grande personne à mettre des bas d’enfant ? » — Il me répondit : « La religion étant très-équitable, il n’y a, vis-à-vis d’elle, ni grands ni petits, ni nobles ni roturiers. C’est à peu près comme ces bas qui, souples et élastiques, vont aux grands pieds comme aux petits. Dans la religion, avec de la ferveur, on peut voir le prêtre, comme ces bas avec un peu d’efforts chaussent bien, même un grand pied. » En effet, je parvins à les mettre. C’étaient des bas venus d’Europe qui, travaillés avec de la laine, s’élargissaient autant qu’on voulait. Je multipliai mes questions, mais inutilement, je n’obtins pas un mot de plus. Je revins dix jours plus tard, j’interrogeai d’autres chrétiens, j’envoyai Jean Ni à son tour. Partout silence absolu. En somme, Jean Ni et moi finies successivement sept ou huit voyages à la capitale, dont notre demeure était éloignée de cent quarante lys, et toujours sans succès. Jean Ni laissa même sa famille pour venir se fixer à Séoul afin de saisir plus facilement une occasion favorable… Malgré tout, nous n’eûmes jamais la consolation de voir le prêtre. La nouvelle de sa mort nous arriva plus tard, et ne fit qu’augmenter nos regrets. »

Combien d’autres démarches analogues durent être faites, dans le même temps, par un grand nombre d’âmes qui avaient faim et soif des grâces de Dieu ! et quelle leçon pour tant de chrétiens qui, vivant au milieu des secours de la religion songent si peu à en profiter ! Nous ne devons pas cependant blâmer comme exagérées, ces précautions si sévères. La présence du prêtre en Corée était connue du gouvernement, les recherches étaient continuelles, les arrestations se succédaient tous les jours. Pouvait-on prendre trop de soin pour conserver l’unique pasteur, sur la tête duquel semblait reposer le salut de tout le troupeau.

Le P. Tsiou étant environné d’un tel mystère, il ne faut pas s’étonner que la tradition coréenne ne nous apprenne presque rien sur ses travaux apostoliques. On sait seulement qu’à la capitale il allait quelquefois chez Augustin Tieng Iak-tsiong, chez Alexandre Hoang Sa-ieng-i et chez Antoine Hong An-tang.