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terre, il doit servir de témoin. — Comme, dans cette affaire, je craignais d’être vu de qui que ce fût, je n’ai fait venir personne, et je les ai enterrées de ma propre main. Le gouverneur s’adressant à moi, me dit : — Et toi, comment as-tu agi ? — J’ai tout déclaré dans ma défense écrite, veuillez bien ne plus m’interroger. — As-tu enterré les tablettes entières, ou seulement après les avoir brûlées ? Selon que tu les auras brûlées, ou non, ta culpabilité sera plus ou moins grave. En tous cas, il me suffira d’un délai de peu de jours pour savoir ce qu’il en est, quel avantage y auras-tu ? — Je les ai brûlées, puis enterrées. — Si tu les as honorées comme tes parents, passe encore de les enterrer, mais les brûler ! Cela peut-il jamais se faire ? — Si j’avais cru que c’étaient mes parents, comment aurais-je pu me résoudre à les brûler ? Mais sachant très-clairement qu’en ces tablettes il n’y a rien de mes parents, je les ai brûlées. D’ailleurs, qu’on les enterre ou qu’on les brûle, elles retournent toujours en poussière ; il n’y a donc rien qui rende un de ces actes plus grave que l’autre.

Le gouverneur, après nous avoir ordonné de monter et de nous asseoir sur la planche à supplices, nous fit signer notre jugement et me dit : — Reconnais-tu être condamné justement pour avoir brûlé les tablettes des défunts ? — Si j’avais brûlé quelque tablette, pensant que les parents y sont renfermés, les supplices seraient justes ; mais comme je l’ai fait, sachant très-clairement qu’il n’y a là rien de mes parents, quelle faute puis-je avoir commise ? — Si tu étais en Europe, tes paroles pourraient être justes, mais étant dans notre royaume, tu dois être puni selon la loi. — Dans notre pays, après cinq générations, tous, même les nobles, enterrent les tablettes, les punissez-vous sévèrement pour cela ? — D’après la décision des saints, c’est à ce terme de cinq générations que finissent pour l’homme les devoirs de parenté. À ces mots, le gouverneur ayant commandé de me battre, je reçus dix coups. Le gouverneur dit ensuite : — Toi qui es noble, ne souffres-tu pas dans ce supplice ? — Comment pourrais-je ne pas souffrir, puisque je suis de chair comme vous ? — N’as-tu pas de regret ? — Comme la religion chrétienne n’ordonne pas précisément de brûler une tablette, je pourrais, à la rigueur, regretter de l’avoir fait légèrement ; hors de là, je n’ai rien que je puisse regretter. Le gouverneur ordonne à un autre valet de me battre, et l’on me donne encore dix coups. Puis le gouverneur me dit : — Quand tu devrais mourir sous les coups, il faut que tu abandonnes cette religion ? — Si je venais à renier mon père suprême, vif ou mort, en quel lieu pourrais-je jamais