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En 1629, le 31 juillet, le gouverneur de Nangasaki fit conduire aux étangs sulfureux d’Oungen, soixante-quatre chrétiens des deux sexes, parmi lesquels une néophyte coréenne, nommée Isabelle. On avait averti les confesseurs qu’ils ne seraient point mis à mort, mais que leur supplice se prolongerait, plusieurs années s’il était nécessaire, jusqu’à leur apostasie ; car les juges sachant que les chrétiens regardent comme un grand bonheur de mourir pour Jésus-Christ, ne voulaient pas laisser cette consolation à leurs victimes. Les eaux d’Oungen sont si corrosives qu’elles couvrent de plaies les parties du corps sur lesquelles on les répand. On avait partagé les confesseurs en cinq troupes, et les femmes avaient été séparées de leurs maris. Tous les jours on les arrosait de cette eau brûlante, et après quelque temps, le plus grand nombre faiblirent. Isabelle, presque seule, resta intrépide jusqu’à la fin, « Votre mari à apostasie, » lui disait-on. — « Que m’importe ! j’ai dans le ciel un époux immortel, et c’est à lui d’abord que je dois obéissance. » On la plaça debout pendant plus de deux heures, avec une pierre au cou, des pierres dans la bouche, et une autre sur la tête, lui déclarant que si cette dernière tombait, ce serait signe d’apostasie, « Non, répondit-elle, il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher que cette pierre ne tombe, mais quand je tomberais moi-même à terre, ma volonté ne changera point. » La pierre ne tomba pas, et la nuit suivante une vision céleste vint consoler la courageuse chrétienne. Le lendemain, elle fut inondée de nouveau. « Nous continuerons dix ans, vingt ans, s’il le faut, » répétaient les bourreaux. — « Dix ans, vingt ans, cent ans même, s’il m’était donné de les vivre, sont un intervalle bien court, et je m’estimerai heureuse de passer ma vie entière dans les supplices, pour rester fidèle à mon Dieu. » La patience d’Isabelle finit par lasser ses persécuteurs. Après treize jours, on la traîna épuisée, meurtrie, devant le gouverneur de Nangasaki. On lui prit la main de force, et avec cette main on signa une déclaration d’apostasie, puis sans lui laisser proférer une parole, on la renvoya.

Tels furent les principaux martyrs coréens qui, les premiers de leur nation, allèrent intercéder auprès de Dieu pour la conversion de leurs infortunés compatriotes.


L’invasion japonaise avait disparu de la Corée sans y laisser aucune trace de christianisme, et, dans les desseins de Dieu, deux siècles encore devaient s’écouler avant que la foi pût pénétrer en ce royaume que la jalousie de l’enfer tenait si complète-