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à prendre terre. Quant aux Coréens, il serait difficile de trouver parmi eux un pilote capable de diriger une barque, en pleine mer, vers un point donné. Ils connaissent la boussole, nommée par eux : le fer qui marque le sud, et on en rencontre dans le pays un certain nombre de fabrique chinoise. Mais ils ne s’en servent que dans la recherche superstitieuse des lieux les plus favorables pour les sépultures. L’usage de cet instrument pour la navigation leur est inconnu, car leurs barques ne quittent jamais la terre de vue. D’ailleurs, les navires coréens sont très-mal construits. Destinés uniquement à la pêche côtière, ils sont plats en dessous afin de pouvoir sans inconvénient rester à sec pendant la marée basse. Une vague un peu forte rompt le gouvernail ; une brise un peu fraîche force à couper les mâts qui sont toujours très-hauts. Construire autrement serait attirer l’attention, provoquer une surveillance spéciale, et s’exposer à la prison pour cause de violation des usages. Eût-on triomphé de tous ces obstacles, fait le voyage de Chine aller et retour, que la réussite serait encore fort douteuse. Un navire qui arrive de la pleine mer est par cela seul mis en suspicion ; les matelots des autres barques se hâtent de venir à bord, les autorités ne peuvent tarder à faire leur visite, et si l’on trouve quelque objet d’origine suspecte, la barque est brûlée, et l’équipage mis à mort.

Le seul moyen praticable de pénétrer en Corée par mer, est celui que les missionnaires avaient adopté dans les derniers temps. Partir de Chine sur une jonque chinoise, après s’être entendu d’avance avec des pêcheurs coréens sur le lieu et l’époque du rendez-vous ; s’aboucher la nuit assez loin de la côte, à l’abri de quelqu’une des îles de l’archipel coréen, transborder à la hâte, et gagner le rivage avant le jour. Mais cette voie, employée sans accidents fâcheux jusqu’en 1866, est maintenant fermée. MM. Ridel et Blanc l’ont vainement essayée en 1869 ; la surveillance est tellement sévère, qu’ils n’ont échappé à la mort que par une protection spéciale de la Providence.

En effet, depuis l’expédition du contre-amiral Roze, la Corée est, plus que jamais, séquestrée du reste du monde. En 1867, les foires annuelles qui avaient lieu à Pien-men, au passage des ambassadeurs, ont été supprimées ; les jonques chinoises venues, comme d’habitude, pour faire la pêche sur les côtes, ont été visitées jusqu’à fond de cale, et renvoyées sans permission de séjour. L’année suivante, 1868, plus de soixante-dix de ces jonques ont été brûlées, et trois cents hommes de leurs équipages massacrés, on ne sait sous quel prétexte. Un ou deux navires