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d’une voix grave et lente, puis peu à peu haussent le ton, en s’accompagnant du roulement monotone et de plus en plus rapide de leurs bâtons, sur le plancher et sur des vases de terre ou de cuivre. Ils entrent bientôt dans une espèce de frénésie étrange ; le rhythme de leurs chants devient de plus en plus saccadé, et à la fin, c’est un vacarme affreux de hurlements et de vociférations diaboliques. « Quels poumons ! s’écrie Mgr Daveluy, à qui nous empruntons ces détails ; je vous assure qu’il y a réellement de quoi mettre en fuite tous les diables de l’enfer. Chaque exorcisme dure trois ou quatre heures, et quelquefois on recommence, toujours plus fort, trois fois dans une même nuit et plusieurs nuits de suite. Malheur aux voisins des maisons où se passent de pareilles scènes ! il leur est absolument impossible de fermer l’œil, comme j’en ai fait plusieurs fois l’expérience. » À la fin cependant, les opérateurs parviennent à vaincre le diable ; ils l’acculent dans un coin, le serrent de tous côtés, et finissent par le forcer à se réfugier dans un pot ou dans une bouteille que l’un d’eux tient à la main. On bouche et on ficelle immédiatement cette bouteille avec le plus grand soin, et, la maison étant débarrassée de son hôte incommode, on commence le chant de victoire. Pendant toute la cérémonie on n’a cessé d’offrir au diable toutes sortes de mets pour le gagner ; ces mets deviennent la propriété des aveugles, à qui on donne en outre une somme d’argent plus ou moins ronde.

Quant à l’action réelle du démon dans ces cas et d’autres analogues, il est difficile de la déterminer. Qu’il y ait souvent beaucoup de jonglerie et de charlatanisme, nul n’en doute. Mais que, de temps en temps, le démon manifeste réellement sa présence et son action dans les hommes ou les choses par des phénomènes contraires aux lois de la nature ; qu’il y ait de véritables sorciers, des sorcières surtout, qui par des rites magiques se mettent en rapport direct avec les puissances infernales, le fait est absolument certain. Les missionnaires attestent que les possessions proprement dites se rencontrent quelquefois ; de même, les obsessions, sans être fréquentes, ne sont pas rares, même parmi les chrétiens.

Au reste, les faits de cette espèce, qui arrivent en Corée, sont ceux qui se sont passés et se passent encore chez tous les peuples païens. Toutes les pages de la Bible, dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, sont pleines de semblables exemples ; et aujourd’hui que l’histoire du monde est mieux connue, aucun savant sérieux n’oserait en nier la possibilité.