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ceux qu’elle flatte, laissant de côté ceux qu’elle abandonne, calculant toujours s’il est de son intérêt de se montrer raide ou souple, avare ou généreux, traître ou fidèle. Mettre la division là où elle le sert, séparer les parents et les amis, susciter des haines et des inimitiés mortelles entre les familles au pouvoir, faire tour à tour agir les ressorts de la vérité et du mensonge, de la louange et de la calomnie, du dévouement et de l’ingratitude, tels sont ses moyens d’action les plus habituels.

« Sachant qu’en Corée le cœur des grands ne s’épanouit que lorsqu’on repaît leurs yeux de la vue des sapèques, il est à la quête de tous les gens en procès, de tous les criminels, de tous les ambitieux de bas étage, leur offre son entremise et leur promet son crédit, moyennant une bonne somme pour lui-même, et une plus grosse encore pour le maître dont il doit faire intervenir la puissance. L’argent une fois payé, les rustres, par son aide, deviennent grands docteurs, les roturiers nobles, les criminels innocents, les voleurs magistrats ; bref, il n’y a pas de difficultés que le moun-kaik et l’argent ne puissent aplanir, pas de souillure qu’ils ne parviennent à laver, pas de crime qu’ils ne sachent justifier, pas d’infamie qu’ils ne viennent à bout de dissimuler et d’ennoblir.

« Cependant, le moun-kaik ne perd pas de vue que sa profession actuelle n’est qu’un chemin pour parvenir au but de son ambition. Toujours vigilant, toujours aux aguets, il n’examine que le moment favorable où il pourra surprendre ou arracher à son protecteur le don de quelque fonction, de quelque dignité. Malheureusement pour lui, son influence n’est pas seule en jeu. L’argent, la parenté, l’intérêt, les sollicitations diverses, font porter ailleurs le choix du ministre, et souvent l’infortuné passe de longues années dans une pénible attente. Dans ce cas, le moun-kaik déploie une constance admirable. Au reste la vertu dominante du Coréen candidat est la patience. Il n’est pas rare de voir des vieillards à cheveux blancs se traîner avec peine pour la vingtième, la quarantième ou même la cinquantième fois aux examens du baccalauréat. Notre moun-kaik est, lui aussi, armé d’une patience héroïque ; plutôt que de désespérer et d’abandonner la partie, il continuera indéfiniment à vivre de misères et de déceptions. Enfin, s’il ne peut emporter l’affaire par la douceur et les caresses, il s’armera quelquefois d’impudence, et fera comme violence à son protecteur.

« Un bachelier de la province Hoang-haï était depuis trois ou quatre ans très-assidu dans les salons d’un ministre, et comme il