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ties du droit naturel qu’il a à toutes les choses propres à sa jouissance, son droit général est détruit ; et cet homme se trouve sous la dépendance d’autrui par ses engagements, ou par une autorité coactive. Il n’est plus dans le simple état de nature, ou d’entière indépendance ; il n’est plus lui seul juge de son droit ; il est soumis au jugement d’autrui ; il n’est donc plus, disent-ils, dans l’état de pure nature, ni par conséquent dans la sphère du droit naturel.

Mais si l’on fait attention à la futilité de cette idée abstraite du droit naturel de tous à tout, il faudra, pour se conformer à l’ordre naturel même, réduire ce droit naturel de l’homme aux choses dont il peut obtenir la jouissance ; et ce prétendu droit général sera dans le fait un droit fort limité.

Dans ce point de vue, on apercevra que les raisonnements que l’on vient d’exposer ne sont que des sophismes frivoles, ou un badinage de l’esprit, fort déplacé dans l’examen d’une matière si importante ; et on sera bien convaincu que le droit naturel de chaque homme se réduit dans la réalité à la portion qu’il peut se procurer par son travail. Car son droit à tout est semblable au droit de chaque hirondelle à tous les moucherons qui voltigent dans l’air, mais qui, dans la réalité, se borne à ceux qu’elle peut saisir par son travail ou ses recherches ordonnées par le besoin.

Dans l’état de pure nature, les choses propres à la jouissance des hommes se réduisent à celles que la nature produit spontanément, et sur lesquelles chaque homme ne peut faire usage de son droit naturel indéterminé, qu’en s’en procurant quelque portion par son travail, c’est-à-dire, par ses recherches. D’où il s’ensuit, 1o que son droit à tout n’est qu’idéal ; 2o que la portion de choses dont il jouit dans l’état de pure nature s’obtient par le travail ; 3o que son droit aux choses propres à sa jouissance doit être considéré dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la justice ; car dans l’ordre de la nature il est indéterminé tant qu’il n’est pas assuré par la possession actuelle ; et dans l’ordre de la justice il est déterminé par une possession effective de droit naturel, acquise par le travail, sans usurpation sur le droit de possession d’autrui ; 4o que, dans l’état de pure nature, les hommes pressés de satisfaire à leurs besoins, chacun par ses recherches, ne perdront pas leur temps à se livrer inutilement entre eux une guerre qui n’apporterait que de l’obstacle à leurs occupations nécessaires pour pouvoir à leur subsistance[1] ; 5o que le droit naturel, compris dans l’ordre de la nature, et dans l’ordre de la justice,

  1. C’est ici le cas du proverbe, qui peut s’adresser à tous dans l’état de pure nature : si tu en as besoin, vas-en chercher ; personne ne s’y oppose. Cette règle s’étend jusqu’aux bêtes ; celles d’une même espèce, qui sont dans le même cas, ne cherchent point à se faire la guerre pour s’empêcher réciproquement de se procurer leur nourriture par leurs recherches.