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nion de Turgot, qui, dans son projet de constitution, ne conféra pas le pouvoir législatif à sa municipalité générale, que le despotisme, dans la mauvaise acception de ce mot, est impossible, si la nation est éclairée, et qu’il n’y a pas de contre force, de système représentatif, qui puisse y mettre obstacle, si la masse du peuple manque de la conscience de ses devoirs et du sentiment de ses droits. C’est un grand problème dont l’avenir seul pourra donner la solution, mais qui, heureusement, n’intéresse en aucune manière la valeur des études économiques auxquelles se sont livrés les physiocrates. Du reste, Quesnay l’a, personnellement, plutôt soulevé que discuté dans ses écrits, où l’on ne rencontre qu’un seul passage qui s’y rapporte, la première des Maximes du gouvernement d’un royaume agricole[1]. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’en reclamant l’unité du pouvoir pour briser plus facilement toutes les résistances à l’intérêt général, ce philosophe et son école n’entendaient pas rendre, comme les radicaux et les socialistes de nos jours, l’autorité souveraine omnipotente. Loin de là, ils traçaient rigoureusement le cercle dans lequel elle devait se mouvoir, et réservaient, au préalable, la liberté de l’individu, sous la seule condition de n’en pas faire un usage nuisible a la liberté des autres[2]. Et, comme ils donnaient, d’accord en cela avec tous les publicistes qui n’ont pas méconnu la nature des choses, la propriété pour fondement à la société civile, il s’ensuit que le despotisme qu’ils préconisaient n’était, au résumé, que l’empire de la raison, celui, en un mot, que doit avoir pour but d’établir

  1. Cette maxime est ainsi conçue :

    Que l’autorité souveraine soit unique et supérieure à tous les individus de la société et à toutes les entreprises injustes des intérêts particuliers ; car l’objet de la domination et de l’obéissance est la sûreté de tous, et l’intérêt licite de tous. Le système des contre forces dans un gouvernement est une opinion funeste qui ne laisse apercevoir que la discorde entre les grands et l’accablement des petits. La division des sociétés en différents ordres de citoyens dont les uns exercent l’autorité souveraine sur les autres, détruit l’intérêt général de la nation, et introduit la dissention des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens : cette division intervertirait l’ordre du gouvernement d’un royaume agricole qui doit réunir tous les intérêts à un objet capital, à la prospérité de l’agriculture qui est la source de toutes les richesses de l’État et de celles de tous les citoyens. »

  2. « La liberté de chaque homme étant également sacrée, disait Quesnay, le respect pour celle des autres est la limite naturelle de l’usage licite que chacun peut faire de la sienne. »