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aucune intrigue, et, comme l’atteste Marmontel dans ses mémoires : « tandis que les orages se formaient et se dissipaient au-dessous de l’entresol du docteur, celui-ci griffonnait ses axiomes et ses calculs d’économie rustique, aussi tranquille, aussi indifférent a ces mouvements de la cour, que s’il en eût été à cent lieues de distance. »

Quesnay apportait, dans le commerce du monde, une conversation instructive, piquante, une humeur toujours égale et beaucoup d’enjouement ; il était petit de taille et d’une figure peu avantageuse. Un contemporain lui attribue le masque de Socrate. Cette allégation ne s’accorde pas avec le témoignage des artistes qui ont reproduit les traits de cet homme célèbre, et qui leur donnent une ressemblance beaucoup plus marquée avec le buste de Voltaire. Mais, que le médecin de Louis XV ressemblât à Socrate ou au patriarche de Ferney, il est certain, et plusieurs anecdotes le prouvent, qu’il lui arrivait souvent de manier l’ironie avec autant de succès que l’un et l’autre.

Ainsi, lors des disputes du clergé et du parlement, il se rencontra, dans le salon de madame de Pompadour, avec un homme en place qui, voyant combien ces démêlés fatiguaient le monarque, proposait des moyens violents, et disait : C'est la hallebarde qui mène un royaume. — Et qui est-ce qui mène la hallebarde, monsieur ? répliqua Quesnay. On attendait, il développa sa pensée : C’est l’opinion, c’est donc sur l’opinion qu’il faut travailler, ajouta-t-il.

Ainsi encore, après une consultation intéressant un personnage considérable, un médecin fameux, dont l’avis avait prévalu, quoiqu’avec beaucoup d’opposition, vint trouver Quesnay, que la goutte retenait chez lui, et qui n’avait pas été appelé auprès du malade. Le docteur donnait pour but apparent à sa démarche l’intention de s’éclairer des conseils de son confrère, mais ce dernier, saisissant l’esprit de cette tardive déférence, se contenta de lui répondre : Monsieur, j’ai mis aussi à la loterie quelquefois, mais jamais quand elle était tirée.

Frappé des entraves que, dans un intérêt qui n’avait rien de commun avec celui du grand nombre, le conflit perpétuel des trois grands corps de l’état, le clergé, la noblesse et le parlement, opposait à l’exercice de l'autorité royale, Quesnay se prononça en politique pour le gouvernement d’un seul. Il pensait à cet égard, et c’était à peu près aussi l’opi-