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même qui avait dirigé les finances de l’État sous la Régence, avant qu’elles ne tombassent entre les mains de Law. Ce seigneur conçut pour lui tant d’estime et d’amitié, qu’il détermina la reine a ne pas appeler, toutes les fois qu’elle venait à Maintenon, d’autre médecin auprès de sa personne. Un incident imprévu grandit tout à coup sa réputation, et acheva de le mettre en évidence.

En 1727, Silva, qui tenait alors à Paris le sceptre de la médecine, publia un livre sur la saignée. L’ouvrage avait été couvert d’applaudissements. Quesnay ne l’en trouva pas meilleur, et ne dissimula pas à plusieurs de ses amis son projet d’en essayer une réfutation fondée sur les lois de l’hydrostatique. Tous considérèrent presque comme une folie le dessein, de la part d’un simple chirurgien de province, d’entrer en lutte avec un médecin de la capitale, dont le nom seul faisait autorité. Mais, pour toute réponse, Quesnay leur déclara qu’il soumettrait son manuscrit à l’examen de l’un d’entre eux, le Père Bougeant, membre très distingué de l’ordre des jésuites[1], qui était lié aussi avec Silva. Après l’exécution de cette promesse, les craintes du Père changèrent d’objet ; il trembla pour le médecin, et fut l’engager a prévenir l’attaque dangereuse dont son livre était menacé.

La raison parlait par la voix du Père Bougeant ; Silva n’entendit que celle plus flatteuse de son amour-propre, et il en fut très mal conseillé dans cette affaire. Dépositaire du manuscrit de Quesnay, il commença par le rendre avec un superbe dédain, puis voulut le ravoir quand il était retourné entre les mains de l’auteur. Ce dernier n’y consentit pas, et n’accepta qu’une entrevue avec son adversaire chez le maréchal de Noailles. Des personnages compétents y assistaient. Silva y vint avec un ton de supériorité et de morgue scientifique qu’il crut propre à attérer le chirurgien de village, mais qui, contre son attente, ne produisit pas le moindre effet sur le caractère ferme et l’esprit convaincu de son contradicteur. Loin de là, Quesnay réussit à concilier en sa faveur l’opinion de tous les juges du débat, et fut déclaré libre dans la publication de sa critique.

Tout, dans cette lutte, devait tournera la confusion de Silva. D’abord,

  1. Auteur de l’Amusement philosophique sur le langage des bêtes, et de deux ouvrages historiques très estimés, l’histoire du Traité de Westphalie, et l’histoire des guerres et des négociations qui précédèrent ce traité.