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dait sans cesse à rapprocher les parties au lieu de les désunir ; à étouffer les procès dans leur germe, au lieu de rechercher laborieusement les moyens qu’offre toujours l’imperfeclion des lois pour les faire naître. Mais, comme ce système ne produisait pas, au point de vue de l’utile, des résultats aussi fructueux que sous le rapport moral, le père de Quesnay s’était déchargé sur sa femme du soin d’en balancer les inconvénients, en lui abandonnant le gouvernement suprême de sa maison et l’exploitation de leur petit domaine. D’un esprit fort positif, pleine d’ailleurs d’intelligence et d’activité, cette dernière jugea, non sans quelque apparence de raison, qu’il n’était pas à propos d’initier son fils à plus de connaissances que celles qui lui étaient nécessaires pour la remplacer un jour dans l’administration rurale dont elle tenait les rênes ; et le jeune Quesnay, n’ayant d’autre instituteur que la nature, resta jusqu’à l’âge de onze ans sans avoir même appris a lire. Il ne devait pas, toutefois, perdre son temps à cette école, et fournit bientôt la preuve que des facultés intellectuelles, d’une trempe peu commune, n’ont pas besoin d’être exercées prématurément.

La Maison rustique de Liébault lui étant par hasard tombée sous la main, l’enfant, qui s’était contenté jusqu’alors d’observer et de réfléchir par lui-même, comprit, comme par une inspiration subite, l’immense secours qu’il pouvait demander à la science des autres. Avec l’aide du jardinier de la maison, il parvint a lire ce livre couramment, et y puisa pour l’étude une infatigable ardeur. De nouvelles lectures agrandirent progressivement le cercle de ses idées, et le mirent en état d’amasser tout seul un trésor de connaissances générales d’autant plus solides, qu’elles étaient plus péniblement acquises. Ce fut presque sans maître qu’il apprit le latin et le grec. Le besoin de s’instruire le dominait à tel point, qu’on le vit plus d’une fois partir de Mérey, au lever du soleil, dans les grands jours d’été, venir a Paris acheter un livre, retourner à Mérey en le lisant, et y arriver le soir, après avoir fait vingt lieues à pied et lu le livre pour lequel il avait bravé la fatigue d’un pareil voyage.

À seize ans, Quesnay sentit la nécessité de spécialiser son instruction, de ne pas user ses forces dans l’impuissante tentative d’aborder toutes les branches du savoir humain, et de délibérer avec lui-même sur le choix d’un état. Ses rapides progrès avaient été vivement applaudis par son